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LéaLune , le 27 novembre 2024 16:52
J’ai adoré ton chapitre, surtout la tension que tu crées autour de l’accident et des rumeurs qui circulent sur le chantier – ça m’a vraiment tenue en haleine !
D’ailleurs, ça m’a donné plein d’idées, je commence une suite dès que possible. 😊
Il faisait nuit quand je poussais enfin la porte de mon appartement. Avec un soupir de soulagement, j'enlevai mon manteau, mes chaussures et jetai sans ménagement mon sac à dos contre le meuble de l'entrée. Il s'y heurta dans un bruit sourd, et mon regard tomba sur le petit porte-clefs offert par Armande le matin-même : la petite perle brillait de reflets chatoyants malgré la pénombre de l'entrée. Mentalement, je remerciai ma collègue et amie. Elle ne le savait sans doute pas, mais son cadeau représentait le seul moment de calme dans cette journée simplement catastrophique. En quelques mouvement rapides, j'avais troqué mon uniforme de jeune urbaniste, composé d'un costume et d'une chemise fleurie pour mon vieux survêtement élimé d'avoir été tant porté. Rien qu'en faisait ces gestes, annonciateurs d'une soirée reposante, je pouvais sentir la tension dans mes épaules s'estomper, et mon esprit se détendre peu à peu.
Ce matin, j'avais prévu de passer la matinée au chantier pour régler quelques détails avec l'équipe en charge de la pose des réseaux. Parmi tous ceux auxquels j'avais pu participer, ce chantier-là se passait particulièrement bien : aucun retard de livraison de la part des fournisseurs, une équipe sur place soudée et bien organisée, et surtout un projet intéressant, avec une vraie plus-value à la fois pour les futurs habitants et ceux du quartier autour. J'étais convaincue par ce projet, et fait assez rare pour être soulignée, n'était pas la seule : même les riverains attendaient avec impatience la sortie de terre des nouveaux logements, et surtout du parc, élément central du futur quartier.
Armande, de nature confiante, était persuadée que le chantier était sur les rails et que nous allions tenir les délais facilement. “tout va bien, on a le vent dans le dos !" me disait-elle souvent. De nature plus… prudente, je préférais rester sur mes gardes et continuer à gérer les opérations comme à mon habitude, et surtout à ne pas m'avancer sur une date de livraison des logements. Et vu les événements de la journée, j'avais été bien inspirée !
J'étais sur le chantier depuis quelques minutes seulement quand le drame arriva. Richard m'attendait près de l'entrée. Même si Armande ne le portait pas dans son cœur, le jugeant "mal dégrossi", ses manières rustres et son côté brute me le rendait sympathique. Il m'avait adressé un signe de tête et, sans s'embarrasser d'échanges de banalité, m'avait entrainé dans le dédale des allées du chantier en me faisant le point sur les avancées et problèmes depuis ma dernière visite. Le sujet du jour était le levage d'une toiture, une opération délicate. Ses mains d'ours, qui faisaient chacune la taille de ma tête, voletait autour de lui tandis qu'il m'expliquait les détails de l'opération.
Puis tout était allé très vite : au loin un hurlement, suivi d'un bruit sourd. Quelques secondes d'un silence total et immobile, très vite rattrapé par un concert de hurlements assourdissants. Sans nous concerter, nous courions avec Richard vers le pied de la grue qui devait assurer le levage. Je le suivais du mieux que je pouvais, alourdie par mon sac à dos trop grand dont le nouveau porte-clefs cliquetait à chaque foulée. Richard était agenouillé à côté d'un corps quand j'arrivais sur place. J'allais me frayer un chemin au milieu de la petite foule déjà amassée, mais quelque chose dans son regard me retint. Il était empli de stupeur, dégoût mais surtout d'une lueur d'effroi.
Les accidents de travail arrivaient régulièrement dans le monde du bâtiment, surtout pour les grutiers. Mais peu se soldait par un décès. Et surtout un décès aussi… dérangeant. L'ouvrier avait chuté de la cabine qui se balançait quelques dizaines de mètres au-dessus du sol. Ce type d'accident ne pardonnait pas, et laissait des corps disloqués, plus proche du pantin que de l'humain. L'impact sur le moral des équipes se faisait déjà sentir. Les rumeurs allaient bon train sur le chantier : on chuchotait que quelques secondes avant sa mort, on avait pu entendre l'ouvrier hurler de là-haut, visiblement en pleine dispute avec quelqu'un, alors qu'il était monté seul. Certains disaient que ce n'était pas un accident, et chacun surveillait son voisin du coin de l'œil.
Dans cette ambiance tendue, j'avais passé la journée avec un inspecteur de police particulièrement désagréable qui avait exigé de visiter le chantier de fond en comble et avait posé des questions toujours plus pointues. Tout le long de ce supplice, qui avait bien duré trois heures, il n'avait cessé de me jeter des regards entendus, l'air de dire que j'étais responsable de la mort de l'homme.
La raison pour laquelle j'avais serré les dents était la présence réconfortante de Richard, à mes côtés tout le long de la journée. Il n'avait pas hésité à montrer à l'inspecteur le peu de cas qu'il se faisait de son avis, allant jusqu'à l'envoyer bouler à plusieurs reprises. Assise sur le rebord de la fenêtre de mon appartement, je lui envoyais un remerciement silencieux dans la nuit.
Et au milieu de cette panique générale, Armande restait injoignable.