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Abattons les premières cartes
Je revint sur notre plage. Encore une fois, encore un soir à l’attendre depuis mon départ de la grande ville. Le soleil avait déjà cédé sa place à la nuit, mais Séléné guidait ma route de son plus bel éclat. Tel un oeil qui regarde le monde me criant “je sais”, la lune me narguait, ajoutant à la détresse engendrée par l’absence de celui que je cherchais. Celui dont j’avais besoin.
Chaque pas me rapprochait de l’endroit où nous nous étions vus pour la dernière fois. Là où nous nous étions quittés sans un mot après des années et des myriades de souvenirs construits ensemble. Des souvenirs dont j’avais besoin aujourd'hui. De la joie, pour recommencer à respirer après ce qu’ils m’avaient fait dans la grande ville. Loin de lui.
Pourtant les autres enfants s'étaient toujours montrés jaloux, prétendant qu'il n'existait pas, que personne ne l'avait jamais vu et que je devais être folle. Pourtant, chaque détail de ses écailles, la sensation de ses palmes sous ma peau et les souvenirs de nos chevauchées à dos de dauphin restaient gravées dans le marbre de ma mémoire, dans la chaleur de mon sang et dans le moindre de mes choix de vie.
Si tristes choix de vie. J'aurais eu besoin de lui ce soir là. Malgré toutes ces années, je pensais toujours à lui et il aurait dû venir me sortir de là. Mais non, j’avais du vivre la violence de chaque instant, de chacun de leurs actes.
Enfin, j’arrivai à la petite grotte au fond de la crique. Les forces quittaient mes jambes à tel point que chaque grains de sable semblait me retenir plus fortement. Des sables mouvants pour poursuivre les tourments et les chaos emprunté à chaque aspect de ma vie depuis ce jour. Celui où nous nous étions quittés.
Là petite chambre demeurai comme dans mon souvenir, aussi étroite que froide. Le sablier du temps avait emporté un par un les grains de sables qui composaient sa tombe. Celle que mes parents m’avaient demandé de construire pour grandir, bien que ce concept m’ait toujours paru vide de sens et effrayant. Je le revit allongé là, dans le froid et l'humidité et l'écho de mon pauvre discours d’enfant qui ne comprenait rien résonna à nouveau dans ma tête.
“Papa et maman m’ont dit ce matin que nous allions partir. Pour mon bien. Les autres enfants me traitent de folle, car ils disent que tu n’existe pas. Papa et maman ne veulent pas que je t’emmène et ils disent que tu es mort ce matin. Dommage. Je t’aimais bien. Quand tu te réveilleras, viens me voir, je serai dans la grande ville.”
Mais il devait m’en vouloir, car jamais il n'était venu. Ni pour mon bac, ni pour mes diplômes, ni pour cette parodie de mariage arrangé et aujourd'hui, il était trop tard.
Je quittai la chambre funéraire plus vide qu’à mon entrée. Devant moi le monde riait et se moquait de moi. L'énergie des vagues me trempa les pieds jusqu'au chevilles et l’œil blanc de ma nuit m’examinait avec toute sa condescendance. Je me pris à hurler à la nuit.
“Alors je ne pose pas les bonnes questions ? Hein ? Pourquoi ? Pourquoi n’est-il pas venu quand j’avais besoin de lui ? Pouquoi ?”
Aucun autre écho que celui des rouleaux des vagues ne répondit à mon appel. Une larme couru sur ma joue pour me fuir elle aussi et se fondre dans l'océan parmi les milliers de pleurs de ceux qui avaient ressenti ce vide avant moi. Ultime cri d'un cerveau qui comprenait que rien ne serait plus comme la simple vie expérimentée jusque là, mais le premier mouvement vers l’avenir et ce que je m’apprêtai à en faire.
Je ne retint pas l’océan, comme mon ami, j'étais morte ce soir là et le lendemain il me faudrait trouver le moyen de renaitre de mes cendres si cela était encore possible.