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J’aurais trop voulu sortir, relâcher la pression, parce que la rédaction du rapport de premier contact s’est avéré être une galère sans nom. Mais le Département ne m’autorise pas encore à me déplacer à plus de cinq kilomètres des locaux, limite si je ne suis pas parquée avec les démons. Je me demande s’il y en a qui seraient chauds pour faire des après-midi Tupperware si on avait des heures de sorties qui correspondent.
J’ai hâte de rentrer chez moi.
Ding dong !
Hiii ! Le voilà !
— Coucou Sylvain !
Il me fait la bise en silence.
— Oh bah dis tout de suite que t’es pas content de me voir, ronchonnè-je.
Moi c’est en voyant le pot débordant de pop-corn caramélisés que j’ai envie de gerber mais je me retiens. J’ai de la chance qu’il comprenne la situation alors même que je ne peux pas lui parler de mon démon avant de terminer le rapport de premier contact, l’écrit qu’on doit théoriquement rendre au Département à six mois du pacte.
Sauf que quand on ne peut ni voir, ni entendre, ni toucher son démon, la communication c’est pas trop ça.
Bon, stop. Il est là, il est venu pour moi alors qu’il a peut-être vu plein de trucs traumatisants, on arrête de broyer du noir.
Je pioche dans un paquet de Fraise tagada et invite Sylvain à poser ses affaires.
— Alors, du coup, cette sortie sur le terrain avec la Alice ? Elle est comment ? C’est vrai qu’elle serait plus jeune que nous ? Ou notre âge à tout casser ? On dit que son démon est tellement balèze que le département lui refourgue tout et n’importe quoi comme mission pour qu’il disparaisse vite !
— Balèze c’est le mot…
Sa voix est si grave, si faible aussi. J’imagine que les derniers jours n’ont pas été faciles pour lui non plus. C’est une chose de lire des rapports, mais c’en est une autre d’être en charge d’une vraie affaire, même tutoré par un agent surdoué et expérimenté. Qu’a-t-il pu voir ?
— Ça va ? osé-je quand même demander. T’as pas l’air d’être avec moi, là… Enfin, t’es pas obligé de parler, hein !
Je glisse ma main sur la table, mais ses doigts reculent. Vu mon indiscutable talent pour cacher mes émotions, il doit voir que je fais une tête de chien battu malgré moi et, enfin, j’ai l’impression qu’il me regarde avec la douceur que je lui connais.
— Désolé Carrie. Je suis juste un peu crevé.
— Ça se comprend. Ça va avec ton démon ?
— Euh ouais…
— Oh, trop bien ! T’as fini par lui trouver un nom ? Ou bien c’est lui qui t’a dit comment il s’appelait ? « Homme vert » c’est le nom de son espèce, c’est comme appeler un chat « Chat » c’est pas cool… sauf si c’est ce qu’il veut !
— Et le tiens ? Comment ça se fait qu’on puisse toujours pas te filer une affaire ?
Il élude. Il ment. Il n’est pas prêt à m’en parler.
D’accord.
— Disons que Candy a un point commun avec ton masque, c’est qu’elle me possède pour se manifester. Le petit problème c’est que… primo, quand elle est là je ne suis plus là, pouf ! le trou noir. Deuxio, j’ai aucun souvenir de ce qu’elle fait quand elle est là. Tertio, le Département aussi essaie encore de comprendre ce qu’elle est. Ils ne savent pas encore s’il faut la classer avec les démons de types Esprits ou Parasites.
— Ah ouais… Tu m’étonnes que t’aies pas pu rendre ton rapport avec les autres de la promo…
— Exactement !
Je préfère garder sous silence le fait que je suis filmée H24 dans le studio. La Département sait quand je mange, quand je dors, quand je me lave, quand je rote, quand je pète, quand je pisse. Peut-être même que ce taré de DOT a conçu un algorithme pour prédire quand j’aurais mes prochaines règles, tiens.
— L’autre problème, c’est que pour rester moi-même, faut que je mange du sucre, genre beaucoup de sucre.
Je re-pioche une fraise tagada, plus pour frimer que parce que ça me fait encore envie.
Je veux lui prouver que tout va bien.
Ne pas l’inquiéter.
— Tant qu’elle a sa dose, elle… n’essaie pas de se nourrir toute seule.
— Comment t’as fait pour le rapport du coup ?
— Quand on a compris comment Candy fonctionnait… J’ai fait des expériences.
Je désigne un petit journal cadenassé qui traîne à côté d’un paquet de Mikado. Pour le moment, ça reste entre Candy, moi, et la psy qui me (nous ?) suit au Département.
— Et je me suis fait taper sur les doigts par l’entièreté de l’équipe médicale.
Ou devrais-je dire mes futurs meilleurs amis, vu la tournure que prend ma cohabitation avec Candy.
— Bon, et malgré tout ça, t’as pas une dent contre les films d’horreur ?
Il brandit un DVD, jusque-là dissimulé entre ses genoux et la table.
Enfin, tu es là.
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