Vacillement

Max eut un de ses réveils que l'on a parfois. Soudains. Les yeux grands ouverts, sans avoir ressenti la moindre sortie progressive du sommeil, sans ressentir la moindre fatigue résiduelle. Il vérifia l'heure, alors que la chambre était encore plongée dans un bleu sombre, froid, silencieux. Les rideaux en lin blanc étaient teintés de nuit. Claire dormait encore, et cela lui glaça le sang, car il ne s'était encore jamais réveillé avant elle jusque là. 

Et surtout, le collier qu'il lui avait offert hier soir… Il y en avait à présent plusieurs sur sa table de chevet. Une dizaine. Peut-être une vingtaine. Max étouffa un juron et sortit, le coeur battant, le plus silencieusement du lit. Il fit un effort pour ne pas s'empresser de ramasser tous ces colliers d'orfèvre en or blanc, parfaitement identiques, car s'il ne fallait absolument pas que Claire les voit, et il ne fallait pas non plus la réveiller, jonglant entre vitesse et discrétion, retenant même son souffle pour qu'il n'effleure pas le visage de son épouse. Il sursauta une première fois lorsque la machine à café programmée s'enclencha en contrebas dans la cuisine avec un boucan qu'il jugea d'enfer, signalant qu'il ne restait plus beaucoup de temps avant que Claire ne se… Il sursauta une seconde fois alors que son téléphone se mit à sonner. Cette fois, il se précipita, fourra ces fichus colliers dans la poubelle à couvercle basculant, cachette improvisée et provisoire, et se précipita hors de la chambre avec son téléphone hurlant. Juste à temps car le matin apparut subitement pour baigner la chambre dans une chaleur douce et réconfortante.

• - Allô ?
• - Bonjour, d'après nos informations, Claire souhaite que tu lui serves le petit déjeuner au lit.
• - Le… ? Mais, je n'ai jamais fait ça, elle n'a jamais pensé à ça jusqu'à présent.
• - Écoute, tu connais les règles et… tout va bien ? Tu as l'air troublé.
• - Je… Oui… Non. Je te rappelle, belle-maman.

En arrivant dans la cuisine, un plateau de viennoiseries, de fruits, et de pain frais, de beurre, de confiture, l'attendait, et les tasses de café s'y étaient déjà téléportées. Max ne montra aucun signe de surprise, et se contenta de remonter vers leur chambre avec le petit-déjeuner.

• - Bonjour, mon amour, fit un Max tout sourire, après avoir toqué à la porte.

Max s'étonnait encore qu'il soit si bon menteur, mais après tout, il avait fait cela toute sa vie.

• - Oh ! Merci, merci, j'avais justement envie que… commença une Claire radieuse avant de s'interrompre et qu'une ombre changea son regard. Mais comment tu as su ? Et… tu as eu le temps de préparer tout ça ?
• - J'avais envie, et je me suis dit que cela changeait un peu, improvisa Max avec un beau sourire.

Installant son butin sur le lit et reprenant place à ses côtés, il constata que son épouse était entrain d'examiner à nouveau le collier d'or blanc. 

• - Il te plaît toujours ?
• - Oui… répondit Claire après quelques secondes. Tu me gâtes beaucoup trop. Et tu te gâtes aussi, tu commences à prendre du poids, ajouta-t-elle, en lui tapotant le ventre affectueusement.

Si Max en rigola, il était horrifié intérieurement. Il avait toujours été parfait, jusque-là. Comment, d'où venait ce petit bedon étranger ? Décidément, quelque chose n'allait pas aujourd'hui, et si le petit-déjeuner se passa merveilleusement, et que tout était absolument délicieux, il voyait bien que Claire n'était pas comme d'habitude. Et alors que son joli regard se perdait dans une pensée mélancolique, elle laissa échapper.

• - Dis… Tu n'as jamais eu cette impression… étrange ? Que tout était trop facile ?
• - Que veux-tu dire par là, mon cœur ? demanda Max avec un sourire tendre, tout en n'en menant pas large intérieurement.
• - Je ne sais pas… Parfois, j'ai l'impression qu'il suffit… que je pense à quelque chose très fort, pour qu'il se matérialise. Par exemple, continua-t-elle en fermant les yeux, si je me dis que j'ai envie de rencontrer un dragon rose avec une trompe et des oreilles d'éléphant…
• - Rigolote, va, fit Max en la blottissant contre lui avec douceur et en gloussant… Je ferais tout pour toi, mais je ne pense pas que l'on puisse trouver cela au zoo. 
• - Oui, c'est ridicule… rit la jeune femme en se pelotonnant amoureusement.
• - Mais c'est aussi pour cela que je t'aime, tu as toujours eu beaucoup d'imagination.

Claire sourit, mais ne répondit pas.

• - Allez, allons nous préparer pour le travail.
• - Encore un instant… Je voudrais te sentir contre moi encore quelques minutes.

Claire s'empourpra mais ne bougea pas, savourant le contact de l'homme qu'elle aimait, fermant les yeux alors qu'il enfouissait tendrement son visage contre lui, tandis qu'on pouvait apercevoir, par la fenêtre de leur chambre, un dragon rose avec une trompe et des oreilles d'éléphant traverser le ciel.

Plus tard, alors que leurs chemins se séparaient pour le travail, Max rappela sa belle-mère.

• - Ombeline, je crois que… qu'elle se doute de quelque chose.
• - Comment ça ?
• - Je… je ne sais pas, il y a eu plusieurs colliers, le petit-déjeuner, un dragon rose, tout ça, c'est nouveau, et soudain ! On dirait qu'elle… prend conscience de quelque chose et qu'elle teste des choses pour essayer de comprendre. Je le savais que le collier, on n'aurait pas dû, c'était…
• - Non, non, non, et non, tu sais bien que c'est notre mission, de faire en sorte qu'elle ne se rende compte de rien. Si Claire se réalise qu'on est dans son rêve, tu sais ce qui va se passer ? Soit, elle sera hors de contrôle et ce monde ne ressemblera plus à rien, elle va le plier à sa volonté et ce sera le chaos le plus absolu. Soit la vraie Claire se réveillera, et alors ce monde périra, il disparaîtra, des milliards de personne vont mourir, toi, moi, on va mourir ! Pire que cela, on va disparaître, ce sera comme si nous n'avions jamais existé, parce qu'on ne se souvient jamais des rêves !
• - Je… je le sais tout cela. Je sais qu'on doit la maintenir dans ce rêve et la faire croire que tout est normal et que c'est le vrai monde pour qu'il continue à exister. Mais c'est de plus en plus difficile, et je crois que ces petits détails qui trahissent nos mensonges commencent à trop s'accumuler. Elle a l'ombre d'un doute.
• - L'ombre d'un doute est inacceptable, il faut, il faut… Écoute, je connais bien ma fille, même si c'est elle qui m'a faite. Voilà ce qu'on va faire, on va…
• - Oui ?
• - … Je… hésita Ombeline. J'ai un doute. Est-ce qu'elle est entrain de rêver qu'on a cette conversation ?