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N'espérez pas rire.
Tic… Tac… Sur ma droite l’aiguille de l’horloge accrochée au mur se traîne rallongeant chaque minute plus que la précédente. Un miroir me projette mon propre reflet qui ne change pas.
Mon œil gauche perçoit une tout autre image. La même image, le même salon, mais la trotteuse tourne à toute vitesse transformant les secondes en jours, en mois puis en années. Toute l’énergie, toute la violence ont laissé place à des barreaux de monotonie derrière lesquelles je me vois devenir ce que je craignais le plus : rien.
Tic… Tac… Les dates s’enchaînent : travail, transport, enfants, écrans puis sommeil. Travail, transport, enfants, écrans puis sommeil. Travail, transport, enfants, écrans puis sommeil quand j’en ai l’occasion. Alors que j’ai effectué mes fonctions biologiques, naître, croître, me reproduire, il me reste trop de temps sur cette terre pour me motiver à conquérir ma vie. Petit à petit mes songes de grandeurs se consument sous la meurtrière flamme des jours qui passent et de nouveaux, plus simples, les remplacent. L’abnégation de l’adolescence fait place au matérialisme et à la réalité du quotidien.
Avoir un toit, rêve facilement accessible à nos grands-parents a été une difficulté imprévue. Rien ne correspondait jamais entre nos attentes et notre budget. La conjoncture qu’ils disaient. Un poids supplémentaire sur mes épaules.
Ah ! Mon moi de gauche semble avoir pris déjà quelques années alors que mon moi de droite esquisse toujours le même masque de solitude, malgré les âmes qui m’entourent. Fantômes de passages, qui bien que bouleversant ma vie, ne l’ont animée qu’un instant. Je les distingue mal d’ailleurs. Je crois reconnaître ma fille et mon fils.
Le choix du roi qu’ils disaient. Enfin presque. Alors que leurs rêves d’aventure et de gloire naissaient, j’ai abandonné les miens. Pour une future basketteuse professionnelle, mes samedis de moins pour changer le monde. Pour le comédien en devenir, les mercredis après-midi et les dimanches passés à créer des décors en moins pour exister.
Tic… Tac… Alors que le poids des années pèse sur mon moi de gauche, le laissant fléchi de regrets, des objectifs de plus en plus simples et accessibles germent en moi. Je rêve de pouvoir dormir. L’ambition de pouvoir a depuis des lustres cédé sa place à l’espoir de pouvoir regarder un film en entier ou lire un livre dans lequel je déterrerai les vestiges d’émotion qui me manquent.
Tic… Tac… Le temps file maintenant à une allure démesurée, les enfants quittent la maison, mais je les soutiendrai jusqu’à la fin. Mes tempes grisonnantes et mes cheveux de plus en plus épars me prêtent une nouvelle notoriété. Un logement n’a jamais été aussi facile à trouver ni un loyer à payer.
Ils ne le réaliseront certainement que trop tard, mais ils ont de la chance d’être venus au monde dans cet hémisphère, à cet endroit.
Leurs aspirations génèrent en moi un élan de nostalgie sourde. Douce-amère nostalgie de l’époque où l’Univers s’offrait à moi comme aujourd’hui il est le leur.
Finalement, quand les miroirs se brisent devant moi, je me rends compte que cette schizophrénie de la période dans laquelle j’ai existé ne m’a fait que vivre par procuration, les émotions empruntées à l’espoir de la jeunesse.
Même si les deux moi se retrouvent unifiés, ce n’est pas de la satisfaction que je ressens, mais bien la douleur d’avoir laissé le temps flétrir mes rêves de gamins au point de les rendre insipides. Merci à vous mes enfants de m’avoir prêté un peu de vie.
Si elle est passée devant mes yeux comme un songe, c’est à vous que je dois la saveur qui m’a permis d’affronter chaque seconde ma propre inutilité et le deuil des avenirs qui s’offraient à moi.
Le bois humide du portail glisse sous mes doigts. Je trouve le loquet sans même le regarder et entrouvre le battant bloqué par le lierre et les ronces. Je me faufile difficilement dans le modeste jardin, la maison en face de moi, mais il n’est pas encore le temps d’en franchir le seuil, même si ça viendra bien trop vite. Tu es à l’ombre sur le petit banc sous les pommiers…
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