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262 lectures, 1 vote0 suites, 0 ramifications2 commentaires
Riversflowinyou , le 22 juillet 2024 18:02
Bonjour,
J'adooore votre style d'écriture et l'histoire est géniale. C'est tout à fait ce que je recherchais 😉
Bonne continuation, hâte de lire vos autres écrits
Lyn , le 22 juillet 2024 18:29
Merci beaucoup pour ce commentaire ! (j’ai eu cette idée sur un coup de tête, et je me suis jeté dedans sans réfléchir 😅)
sentez-vous libre d’écrire la suite dans le cadre du concours 😉
(et puis si vous voulez me lire, il y a, sur mon profil, les histoires auxquelles j’ai participées, et les défis que j’ai moi-même conceptualisés).
Monsieur Brien, une fois bien installé à la place du conducteur, jeta un premier coup d’œil derrière son épaule.
Il vérifia l’ajustement du rétroviseur sur lequel il croisa un sourire benêt imprimé sur son visage joufflu et des petits cœurs roses imprimés sur sa cravate satinée. Cette cravate n’incitait personne à le prendre au sérieux, raison pour laquelle sa fille revendiquait obstinément qu’il s’agissait non pas de cœurs mais bien des pois et qu’ils n’étaient pas roses mais blancs ; après tout, pourquoi pas. Les cœurs étaient si petits qu’ils passeraient volontiers pour des pois et les pois étaient d’une teinte si pâle qu’elle passerait volontiers pour blanche.
Petits cœurs roses ou petits pois blancs, ce n’était qu’une question d’interprétation.
Petits cœurs roses ou petits pois blancs, ce n’était pas important.
Petits cœurs roses ou petits pois blancs, c’était un cadeau de sa fille, le premier acheté avec son argent de poche.
Monsieur Brien jeta un second coup d’œil derrière son épaule.
Il ajusta ses manches blanches – blanches pour de vrai – sur ses poignets boudinés et saisit son volant avec l’empressement d’un homme guilleret à l’idée de rentrer à la maison après une rude, mais productive, journée de travail.
Monsieur Brien jeta un troisième coup d’œil derrière son épaule.
La route était toute à lui, quand il s’engouffra avec aisance dans les sinueuse routes de campagnes que la lumière du soleil, filtrée par le feuillage des abords forestiers, beignait d’un vert vif, un vert chatoyant, un vert qui faisait dire qu’il était bon de vivre au contact de la nature et du grand air.
Monsieur Brien jeta un quatrième coup d’œil derrière son épaule.
Qu’il était agréable de finir la journée avant la tombée de la nuit.
Monsieur Brien jeta un cinquième coup d’œil derrière son épaule.
Le petit bout de chou commençait à s’agiter derrière.
— Ça va Alexis ?
La fille Brien jeta un premier coup d’œil sur l’horloge murale blanche qui jurait sur le papier peint rose ; 16 h 45. Elle avait encore un peu de temps. Cette comédie était moins désagréable maintenant que les températures s’étaient adoucies. Elle redoutait néanmoins l’escalade depuis la fenêtre maintenant qu’il remplissait son placard de mini-shorts, de mini-jupes, et de tenues estivales très féminines et aucunement conçues pour s’exfiltrer.
Elle se figea quand elle perçut un bruit. Un bruit anormal à cette heure : les graviers de l’allée qui crissaient à l’arrivée de la voiture de Brien père.
La fille Brien jeta un second coup d’œil à l’horloge.
Normalement, il quittait la maison à 7 h 30 pour revenir à 18 h 00. Tout en l’enfermant dans la maison avant de partir, il s’attendait à ce qu’elle sonne au portillon à l’orée du jardin à 18 h 30, à l’exception des mercredis. Si un jour on lui avait dit qu’elle maudirait un vendredi soir…
La fille Brien jeta un troisième coup d’œil à l’horloge.
Ça ne servait à rien de se réfugier dans le scénario habituel s’il ne l’avait pas respecté.
— Mer… ! Mince, mince, mince… ! maugréa-t-elle en faisant les cents pas dans la chambre.
Peut-être aurait-elle le temps de se faufiler silencieusement dehors. D’habitude, elle attendait 17 h 45, suffisamment tard pour ne pas geler dehors et suffisamment tôt pour être sûre qu’il ne l’entende pas.
La fille Brien jeta un quatrième coup d’œil à l’horloge.
La porte claqua. Il était dans la maison.
— Allez, on va prendre un bon goûter ! chantonna-t-il.
La jeune fille suspendit son geste alors qu’elle s’apprêtait à grimper sur l’appui de fenêtre.
Normalement, il s’annonçait avec un tonitruant « je suis rentré ! » lancé à la cantonade. Parfois il l’appelait pour qu’elle descende l’embrasser mais, le plus souvent, il saluait Maman et se lançait dans une conversation quelconque avec elle jusqu’au souper.
La fille Brien jeta un cinquième coup d’œil à l’horloge.
— Eh bah alors Alexis ? claironna-t-il. Pas content d’être en week-end ?
— C’est pas vrai… souffla-t-elle.
Depuis combien de temps n’avait-elle plus entendu une autre voix ? Elle était gémissante, presque inaudible, mais une autre personne respirait le même air qu’elle et lui.
Prudente, l’aînée Brien sortit de la chambre et se pencha sur la cage d’escalier.
Brien père tirait à bout de bras le cadet Brien qui tentait vainement de regagner la sortie malgré sa petite menotte scellée dans la poigne paternelle.
— Je n’aime pas beaucoup ces caprices Alexis ! Si tu continues comme ça tu seras puni… !
— Arrêtez… !
— Salut Papa !
La jeune fille descendit malaisément les escaliers, espérant tout de même faire illusion avec son sourire de façade. Bien qu’elle eût appris à jouer son rôle à la perfection, l’arrivée de ce gamin la replongeait dans la terreur des premiers jours.
Plus encore quand le père Brien se détourna du petit pour reporter son attention sur elle.
— Zora ? Tu n’es pas en cours ?
— Ah euh… la euh… la prof d’histoire était absente. Du coup on avait fini plus tôt ! Euh… une pote a proposé de me ramener. Enfin sa mère… euh…
Une goutte de sueur rampa sur sa nuque, avec la même lenteur que les secondes qui s’étiraient à l’infini dans le silence. Ses silences lui faisaient bien plus peur que ses tirades de papa poule ou les monologues de mari dévoué qu’elle entendait à travers les murs de la chambre, au moins ceux-ci attestaient que le statut quo était maintenu.
La dernière fois qu’elle avait intégré une amie dans le scénario, il lui avait demandé un numéro de téléphone.
— Euh ! Au fait ! improvisa-t-elle. Maman a besoin de toi dans le jardin. Je crois qu’elle ne s’en sort pas trop avec la haie…
— Oh ! Mais je lui avais dit qu’on ferait ça ce week-end !
Avec sa voix mielleuse, sa figure ronde, ses fossettes, ses joues roses et son sourire retrouvé, sa bonhommie était criante.
— Je te laisse t’occuper de ton frère ? Il avait l’air bien fatigué aujourd’hui, pour dire, il s’est endormi dans la voiture sur le retour de l’école ! Maintenant il est tout ronchon, je ne sais pas ce qu’il a.
Sa poitrine se déchargea d’un poids quand l’enfant récupéra l’usage de ses deux mains, et l’air coula à nouveau dans sa gorge quand elle entendit le grincement de la porte signifiant que Papa leur laissait quelques minutes d’intimité.
— C’est où ici ? chevrota la voix du petit garçon. J’attendais ma… ma maman et…
— Alexis.
— Je m’appelle pas…
— Je ne sais pas combien de temps on a avant qu’il revienne et faut vraiment que tu joues le jeu. Sinon tu peux avoir de gros problèmes. Et peut-être que moi aussi.
Elle s’agenouilla, alignant son regard avec le sien.
— Je t’expliquerai mieux après, mais retiens déjà ces quatre règles : la première, tu réponds quand il te donne un nom. Même si ce n’est plus le même d’un jour à l’autre. Tu vois, moi, aujourd’hui c’est Zora, hier c’était Yaël et l’autre jour c’était Xavière.
Elle s’efforça d’empêcher sa voix de flancher ; elle clôturait encore l’alphabet.
— Règle numéro deux : lui, tu ne lui demandes jamais son nom. C’est Papa et puis c’est tout.
— Mais c’est pas…
— Règle numéro trois : tu ne dis rien de vulgaire, pas d’insulte et pas de gros mot. C’est un des rares trucs qui peut le faire complètement vriller même quand on suit son délire.
— Je veux partir…
— Règle numéro quatre : on est que trois, ici, avec toi. Mais il obéira toujours à Maman.