Néo-Arche-de-Noé

— Hé Kaïs, attends-moi…

Ninon avança péniblement dans le dédale de couloirs, d’escaliers et d’échelles, les bras chargés de la lourde combinaison Hazmat que son ami lui avait jeté dans les bras sans vergogne.

Lui revint ce qu’elle avait appris en classe : l’humanité avait pensé qu’il suffirait de se réfugier le temps du Néo-Déluge qui nettoierait la Terre, mais l’air y demeurait encore irrespirable même après la redescente des eaux.

— Roh là là là là… on n’a pas le droit d’être là…

— C’est toi qui as insisté pour venir.

— C’est normal, t’es perdu tout seul. Qui te ramène tes affaires quand tu oublie ton sac en classe ? C’est Ninon ! Qui te souffle les réponses parce que t’as quand même pas fait tes devoirs ? C’est Ninon ! Qui doit venir te sauver les fesses quand les grands viennent te faire la misère ? C’est Ninon ! Qui pense à prendre deux tickets de rationnement parce qu’elle sait que tu vas oublier ? C’est Ninon !

À cause de lui, elle se faisait gronder par ses parents et on l’accusait d’être une voleuse, une irresponsable et une gloutonne qui méritait ses rondeurs.

— Bah, tu devrais être contente que j’aille là-haut alors.

— Dis pas des trucs comme ça !

C’est pas drôle…

Ninon laissa couler un silence, à défaut de laisser couler les larmes qui menaçaient de dévaler ses joues si elle laissait libre cours à ses émotions.

Des gens meurent pour de vrais.

— C’est parce que ton papa t’emmenait des fois ici que tu connais l’endroit ?

Kaïs se figea une seconde avant de reprendre l’escalade d’une échelle.

Ninon se renfrogna, l’envie de faire disparaître sa tête dans ses épaules.

Un matin, Kaïs avait quitté la classe. Personne n’avait compris mais tout le monde avait reconnu les uniformes de la brigade de ravitaillement. Le papa de Kaïs était l’un d’eux.

Avant sa dernière Ascension.

Ninon ne savait pas ce qu’il s’était passé.

Kaïs avait manqué l’école une semaine et il était revenu si changé que Ninon se demandait si son ami n’avait pas disparu avec son père au bout du compte.

Ils pénétrèrent dans une ultime pièce, la plus haute de la Néo-Arche.

— Kaïs, on peut encore rentrer…

Le garçon ne l’écoutait pas, enfonçant ses pieds dans la combinaison assurément trop grande pour lui, quoiqu’il avait bien grandi ces derniers temps.

— Peut-être même qu’on peut rentrer avant le couvre-feu…

Son ami était maintenant méconnaissable, sa silhouette avalée par l’imposante combinaison jaune.

— Kaïs…

Sans se retourner, il s’immisça dans un ascenseur.

Il appuya sur un bouton.

Il disparut derrière deux battant métalliques.

Aspiré vers la surface.

Ninon geignit en déployant sa propre combinaison.

— Roh là là là là… je vais encore me faire gronder moi…