Bakkaçabl

Je visais la pyramide de bille devant moi, imprimant quelques mouvements d'aller-retour, avant de me décider à lâcher mon projectile.   Zut !   Ma bille manqua d'un demi-centimètre la cible, roulant tout droit sans obstacle. Je me mis à courir derrière alors que mon adversaire gloussait devant mon échec, en pensant à son gain à venir. La bille roulait, roulait, sautillant légèrement dès qu'elle rencontrait un petit cailloux. Elle avait parcourus plus d'une dizaine de mètres. j'avais joué un peu trop fort.   Mais, alors la bille ralentissait pour enfin s'arrêter, j'avais déjà stoppé ma course en voyant dans quelle direction elle m’entraînait. Vers le bac à sable. Là où la bande des « bizarres » était déjà réunie. Amassée accroupie autour du petit Leto et de curieuses formes dessinées dans le sable. Comme hypnotisée, suspendue à ses lèvres et à ses rêves effrayants.   Le petit Leto était un surdoué qui était passé directement du CP au CE2, bien plus intelligent que les gens de notre classe. Et qui avait réussi à agglutiner autour de lui toute une bande d'enfants plus grands et costauds, qui l'écoutaient absolument en tout alors qu'ils auraient pu l'écrabouiller comme une mouche. Même le grand et gros Vladimir Souland, qui était pourtant en CM2, avait déserté le terrain de foot et les gens de son âge pour venir jouer avec la bande.   Je m'avançais tout doucement vers mon projectile pour le récupérer, essayant de ne pas attirer leur attention. Mais je n'avais pas vu Gurney un peu plus sur la droite, qui scrutait les alentours à demi caché derrière un tronc d'arbre. Il se précipita vers le groupe en gueulant : « Une fille ! Y a une fille qui arrive ! » tandis que j'avançais à pas feutrés.   Il se levèrent tous, tournant en même temps leurs visages sévères et concentrés dans ma direction. Je ne pus réprimer un coup d’œil furtif sur ma gauche, vers le préau et la maîtresse qui discutait en fumant une cigarette avec le maître des CM2, puis un autre vers la droite et le terrain de foot sur lequel une grande partie des CM1 et des CM2, dont mon grand frère, courrait derrière un ballon.     Le soldat avait rempli son officie à la perfection, alertant le haut commandement assez rapidement pour pouvoir envisager une mesure d'urgence. Ayant laissé passer les quelques secondes de stupeur que pouvait engendrer une telle situation, le haut commandement se précipita sur la ligne de front, pour juger de ses propres yeux. L'ennemi s'était effectivement avancé jusqu'en lisière de la forêt, anticipant légèrement les mouvements qu'avait prévu le Guide Suprême. Mais celui-ci se rassura : ce n'était qu'un faible groupe armé. Sûrement une unité de reconnaissance, qui s'était d'ailleurs arrêté à la lisière de la dense forêt, et semblait scruter les forces de la coalition qui s'étendaient entière devant ses yeux.   Le Guide Suprême sourit intérieurement. Il ne doutait aucunement de la puissance des troupes de sa coalition, et espérait que le faible nombre que l'ennemi devait voir étaler devant ses yeux le rendrait trop confiant dans la bataille à venir. Le Guide Suprême savait qu'un excès de confiance s'avérait bien plus souvent un désavantage qu'une aide, les capacités réelles de chaque guerrier étant alors légèrement affaiblies par rapport à leur capacités théoriques. Et, l'excès appelant l'excès, un excès de confiance pouvait vite se retourner en un excès de terreur si la bataille tournait à son désavantage. Le Guide Suprême avait toujours voulu distiller le doute et la remise en cause dans ses rangs, pour les forcer à toujours respecter leur adversaire, ne pas le prendre de haut, et tenter de se dépasser. Il devait d'ailleurs faire attention aux forces Zulandaise, qui avaient une tendance naturelle à l'excès de confiance et d’orgueil.   Le chef spirituel se porta au côté du Guide Suprême et prit la parole.     Jessica, d'une voix qui porta à l'ensemble du groupe, s'adressa à Leto : -J'l'aime pas c'te pouffiasse d'Alia. Elle croit qu'elle est plus forte et intelligente que moi. Et en plus, elle veut pas m'laisser copier sur elle, quand on a interrogation. Faut qu'on lui donne une bonne leçon.   Duncan Azelan était d'accord avec Jessica. Quoiqu'elle dise, d'ailleurs, il était d'accord avec elle. Elle était mignonne et il était amoureux d'elle. Il était un peu dégoûté qu'elle n'ait maintenant d'yeux que pour le petit Leto quand l'année dernière, alors que Leto n'était pas encore dans leur classe, elle ne jurait que par lui. Mais il fallait reconnaître que le petit génie savait embobiner les gens !   Jessica reprit, à l'adresse de Leto et de l'ensemble : -T'as vu, en plus, elle a peur, elle regarde où c'est qu'elle est, la maîtresse !     Pourquoi qu'on y va pas ? Moi, faut qu'j'y aille. Faut qu'je montre à Duncan c'est qui le plus fort ! Et Piter qui me dit qu'il lui a dit qu'il était plus fort que moi ! N'importe quoi ! Ici, y a pas plus fort que Vladimir Souland. Vlad le Zulandais, qu'il a dit, le Guide Suprême !   Et en plus, j'suis fort et intelligent. Pendant qu'y r'gardent tous Alia, moi, j'dis qu'y faut qu'j'en profite pour charger sur le côté le restant des billeux et les filles qui jouent à la marelle. Faut qu'j'profite de la diversion de Jessica, ouai, pour sûr ! Un peu comme c'que le Guide Suprême nous a dit dans son plan.   Et qu'j'envoie un message à ces pauvres cons du foot : vous voulez pas de moi dans vos équipes ? Ben regardez c'que j'fais de trop cool maintenant, alors que vous courrez comme des cons derrière un ballon.   Ouai. Ils vont tous le regretter de s'être moqué de Vlad le Zulandais !     Le Guide Suprême sentait l'agitation gagner ses troupes. Surtout les forces Zulandaises. Tandis qu'il voyait les éclaireurs ennemis rebrousser chemin à pas feutrés, il méditait les révélations du chef spirituel. Pourquoi l'ennemi semblait-il faire des prières aux Dieux protecteurs ? Espérait-il glaner leur protection contre les forces de la coalition ? Cela voulait-il dire que les forces ennemies n'étaient finalement pas prêtes pour la bataille ? Et si jamais il y avait moyen de les prendre de vitesse ? Le cerveau du Guide Suprême bouillonnait, tandis qu'il pesait le pour et le contre des indénombrables possibilités qui s'offraient à lui. Il prit alors sa décision, et donna le signe du début de la bataille.   Vladimir commença sa course puissante en lançant un cris strident vers les cibles qu'il s'était désignées.   Duncan attrapa le solide morceau de bois crochu qui se tenait près de lui et se mit à avancer à pas de chat vers les filles qui jouaient à la corde à sauter.   Jessica pris une poignée de sable et se précipita en direction d'Alia qui déguerpissait en criant vers le reste de joueurs de billes.   Gurney tâta son stock de billes dans la poche arrière de son pantalon, se cala derrière un arbre, et commença à viser ses cibles.   Paul dégagea son tas de cailloux affutés du sable tout en observant les footeux.   La bataille venait de commencer...