Jeudi 48 février "Family"

-Les écouteurs ne marchent plus, hurlé-je.

-Mon coeur...ils sont au niveau maximum me lance Asuka.

Aujourd'hui, nous sommes le 48 février, c'est le jour où ils sont descendus sur Terre pour me dire quoi faire, me donner leurs dernières instructions. Au début, j'ai essayé de leur résister, de leur tenir tête...Puis, ils ont menacé de le faire du mal.

Très souvent, j'ai bien conscience qu'il me manque une bonne douzaine de grilles de mots croisés dans la tête.

En dépit de toute cette merde, je reste lucide et fixé sur mes objectifs. Ah, je ne vous l'ai pas dit ? Moi et ma compagne imaginaire presque réelle avons pour objectif de reprendre le contrôle de nos vies.

Récemment orphelin, mes deux parents sont venus me voir ce matin, près du soleil. En gros, j'ai fait un joli rêve étoilé où je volais comme un héros. J'avais neuf ans, et rien de tout ceci n'avait encore commencé.

Je vous fais une blague, je sais qu'ils sont morts.

Bon, il est déjà 14h15, c'est l'aube, je dois me hâter, ici à Tokyo, il ne fait pas toujours beau. Je pose mon mug contre le rebord de mon balcon et contemple à quel point le nord de l'Europe m'ennivre de plaisir un peu plus chaque jour. Certes, les voies n'ont de cesse de me dire de sauter, mais entendre les goutelletes s'écraser sur le bitume est un son encore plus mélodieux. Ma voisine me dit bonjour, ok, elle cherche à me faire du mal. 

-Regarde Asuka, mademoiselle me salue de la tête, mais en fait, elle est malveillante elle aussi, quel monde.

Asuka se penche en avant, et je prends peur qu'elle ne trébuche. Celle-ci me rassure et me dit que de toute façon, elle appelerait son robot à la rescousse si jamais elle venait à glisser. Quant à moi, je mime Jack Dawson ,remontant mes cheveux contre mon front et lui promet de sauter dans l'eau glacée pour la secourir. 

-Tu sais le pire, avec tout ces délires ? mumuré-je en avalant une nouvelle gorgée de café serré.

-Ils te rassurent, c'est ça ?

-Incroyable, tu devines tout, ricané-je.

-On dirait presque que je suis dans ta tête, ajoute Asuka.

Elle se recoiffe rapidement, attache un petit diadème rouge dans ses cheveux, ressemblant encore un peu plus à la foldingue dans mon manga favori. Est-ce que vous savez que son créateur a sublimé ses tracas lui aussi en dessinant ?

-Bon, ils ne descendront pas du ciel.

-Avec leurs jouets par milliers, enfin, ça me fait bizarre de dire ça maintenant.

-Nous sommes le 3 janvier officiellement, soupiré-je.

Mes doigts tremblent seul. Je repose ma tasse vide, remet la bouilloire en marche, puis m'installe devant mon cahier. Les chuchotements ne cessent pas, mais je me permets de les réciter un à un à haute voix avant de les écrire sur le papier, exorcisant à nouveau les démons.

Alors que ma compagne se blottit contre moi, je baise son front humide, puis entame un nouveau manga. Je ne l'ai même pas remarqué, mais en l'espace d'une demie seconde, ses cheveux avaient poussé un peu plus. 

-Tu as remis ton uniforme militaire. Il te va bien.

-Je sais , et en plus, c'est ton préféré.

Je tourne les pages une à une, admiratif des dessins. Finalement, je parviens à m'enfoncer complètement dans le récit. Une fois lu en entier, bien évidemment, les chuchotements reviennent en force.

Pourtant, même s'ils sont dévastateurs, je vous avoue que les souvenirs de l'histoire que je viens de découvrir sont plus forts et les occultent complètement...

Je me mets à sourire, examine mes mitaines. Est-ce que vous savez que ce sont celles d'un de mes personnages ?

Je ferme les yeux, et en même temps les volets. Aucun archange divin, ni aucun vaisseau de l'espace ne viendra m'emmerder aujourd'hui.

Asuka s'allonge ensuite sur mes genoux. Sa silhouette presque invisible est parfaite et je maudis cette malédiction de ne pas être capable de la rendre plus réelle, ne serait-ce qu'une heure.

-Je vais parler à ta place, compléte t-elle. Un esprit aussi créatif...Et si c'était la seule chose capable de t'aider ?

-Si tu veux tout savoir, mon esprit me suggère d'oser quelque chose.

Sans la laisser répliquer, je dépose mes lèvres contre les siennes, pose mes mains sur elle. Son uniforme me parait bien peu épais, et sa peau parfaite sent tellement bon. Alors, je décide de m'abandonner à la folie délicieuse et cède à la tentation.

Il nous reste douze jours, mais en trois jours, j'ai compris déjà deux choses. L'imagination est le meilleur des remèdes. Toutefois, à forte dose, je pourrais être sujet à un effet désirable assez perturbant. Je pourrais complètement me déconnecter...