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helhiv , le 4 octobre 2023 10:16
J'ai beaucoup aimé l'originalité de cette suite et l'introspection qui y est introduite. Il me semble que la complexité qui y apparaît ouvre la porte à beaucoup de continuations possibles ; c'est pourquoi j'en ai proposé une qui je l'espère permettra de structurer l'histoire en quatre volets et susciter un dénouement ou des dénouements. Merci pour l'inspiration.
saule , le 9 octobre 2023 16:34
Mais de rien !
J'ai voulu aller dans une direction qui n'était pas attendue et ouvrir des perspectives. Contente que ça t'ait plu et inspirée !
AlexGNSTR , le 13 novembre 2023 14:48
Merci Saule! Je trouve que la suite que tu proposes a mon histoire l'emmène dans une direction que je n'avais pas du tout anticipée. C'est tout l'avantage de construire des histoires à plusieurs. Félicitations!
saule , le 16 novembre 2023 12:51
De rien AlexGNSTR ! Comme je l'ai dit à helhiv, c'était l'idée. Je suis contente que ça t'ait plu et ait déjà permis une fin (laquelle est bien tournée d'ailleurs, bravo !). Merci pour ton gentil commentaire.
Un silence de mort régnait sur la Gargote. Par la porte ouverte et les grandes baies vitrées, profondément adossée à une de ses confortables chaises en bois, Sylvie contemplait sa terrasse, vide malgré l’enjôlant soleil du soir. Un petit rire sans joie lui échappa, remontant le coin de sa lèvre en un demi-sourire. Les imbéciles…
S’ils savaient ce qu’elle avait fait, ils l’ostraciseraient, sans aucun doute, et bien plus férocement que les victimes de ses pamphlets. Et alors ? Et puis quoi ?
De toute manière, qui irait la soupçonner ? Qui irait croire qu’elle avait détruit sa vie, coulé son affaire juste pour… Quoi ? La satisfaction morbide de voir les autres souffrir ? L’aigreur soudaine d’une femme approchant la cinquantaine ? Elle sourit tristement. Peut-être bien. Ou peut-être pas.
Non ; elle savait très bien que ce n’était pas pour ça. Quoique pour l’aigreur…
Cela faisait vingt-six ans que Sylvie tenait la Gargote, qu’elle les voyait rire ensemble, passer de bonne soirée, se dire « bonjour voisin ! » ah ! "les meilleurs amis du monde" ! Quelle hypocrisie !...
Sylvie avait quarante-neuf ans. Cela faisait quarante-neuf ans que le mensonge lui faisait mal.
Déjà, petite, quand ses parents lui nommaient les choses, elle voyait bien que quelque chose clochait, que ce qu’ils disaient et ce qu’ils vivaient ce n’était pas la même chose, mais c’était flou, de sa petite enfance elle gardait une vague nausée. Son premier véritable souvenir était quand sa grand-mère était morte et que ses parents avaient refusé de lui en parler, « elle est partie au ciel » avaient-ils dit, « elle est heureuse là-bas », mais elle avait bien vu à leur regard et à leur posture que ça ne collait pas, qu’il y avait un décalage entre ce qu’ils disaient et ce qu’ils savaient. Là, elle l’avait vu ; elle avait compris quelque chose.
Et puis en grandissant, quand on lui enseignait les maths, la grammaire, l’ordre social, la place des choses dans le monde quoi, et qu’il ne fallait surtout pas poser de questions, et que rien n’allait avec rien, que le b ne suivait pas le a, que c’était insensé. Elle les voyait tordre les choses, mais ils ne s’en rendaient même pas compte.
Puis, toute sa vie, elle avait vu les faux sourires, les je-crois-ce-qu’on-me-dit-de-croire-tapez-pas-c’est-pas-moi, les gens qui appuyaient toutes leur vie sur des chimères, comme ça, parce que c’était plus facile, les « je t’aime » qui s’enfuyaient pour un morceau de papier jauni.
Alors elle avait appris à faire avec, et elle s’était menti elle aussi, elle avait tout mis sous le tapis, juste pour ne pas égorger quelqu’un ou foncer dans le premier ravin avec sa voiture. Juste pour survivre.
Ça avait marché.
Pour un temps : le mois dernier, tout avait explosé.
C’était pourtant un soir normal. Un karaoké avait été organisé. Ça chantait faux, les enfants se couraient après et tout le monde riait très fort. Les boissons, la nourriture et l’argent coulait à flot. Elle envoyait derrière le bar, les cuisines turbinaient et ses quatre serveurs couraient entre les tables. C’était un bon soir pour la Gargote.
C’était pourtant au milieu de cette joyeuse effervescence que le monde s’était distordu.
Tout s’était ralenti, les son avaient été étouffés comme par un brouillard et elle les avait vus : ces bouches trop tendues, ces rires qui sonnaient faux, ces regards fuyants, tout ce bruit qu’on faisait pour éviter de se poser les bonnes questions. Et elle était complice de ça, elle.
La vieille nausée l’avait envahie, son cœur s’était mis à lui faire mal à force de se cogner à ses côtes et le tournis l’avait saisie.
_ Sylvie ? Tout va bien ? l’avait interpelée une voix.
Elle était revenue au monde au galop, aspirée, et avait croisé le regard plein de sollicitude de Clothilde, qui sirotait un diabolo au comptoir.
_ Oui. Oui, tout va bien.
Après ça, la soirée s’était poursuivie normalement –enfin, presque, car elle devait lutter pour ne pas écarquiller les yeux d’horreur à chaque visage où tombait son regard. Ils étaient laids… ! Comment avait-elle pu passer à côté pendant tout ce temps ?
Quand enfin elle s’était effondrée sur son lit, elle savait ce qu’elle devait faire : il lui fallait absolument vérifier si elle était folle –ou si c’était un symptôme préménopause ou que savait-elle encore bref si ça venait d’elle– ou si la laideur qui lui avait sauté au visage avait une part de fondement.
Elle avait mal dormi, tiraillée de mauvais rêves, se tournant et se retournant sans cesse entre ses draps poisseux. Mais le lendemain, elle avait défini sa première question : la vie de communauté tant vantée, dont la Gargote était une plaque tournante, était-elle réelle ou bien n’était-elle qu’un gros mensonge, qui ne tenait que tant que les choses étaient faciles ?
Décidée à procéder par étape, elle avait commencé par quelque chose de grossier, dont les villageois ne manqueraient pas de rire : tout le monde aimait Clothilde, tous savaient qu’elle était une bonne mère et personne ne la voyait jamais boire d’alcool, son pire péché étant le diabolo fraise. Tout le monde ne manquerait donc pas de crier à la calomnie et Sylvie, soulagée, pourrait passer au test suivant.
En un sens, on pouvait dire que le résultat avait dépassé ses attentes : dès le lendemain, après une seule vérification, elle avait sa réponse.
Quand elle s’était rendue compte de se qui se passait, elle avait dû s’enfermer plusieurs heures dans les toilettes pour calmer sa nausée et ses tremblements, prétextant qu’elle se sentait male –ce qui, bon sang, était le cas ! Comment pouvait-on être… à ce point… Comment pouvait-on croire plus volontiers un foutu bout de papier anonyme que la personne qu’on côtoyait quotidiennement depuis des années ?
Sylvie avait pleuré.
Le lendemain, quand elle avait entendu ces garces de Lucie et Amélie condamner Clothilde sans appel –tout ça pour un foutu bout de papier jauni qu’on avait glissé dans leur boîte aux lettres !– elle avait serré les dents pour ne pas les étrangler et avait décidé de leur faire connaître à leur tour les joies de la calomnie, histoire de les faire réfléchir un peu –et aussi : croiraient-elles encore le bout de papier ou bien les hommes avec qui elles partageaient leur vie depuis près de quinze ans ?
L’empoignade qui avait suivi lui avait –hélas !– donné sa réponse.
Quand enfin, après cette soirée pitoyable, elle avait regagné ses pénates, elle était trop choquée pour pleurer ou rager. Bon sang… Il y avait du boulot.
Dès le lendemain, elle s’était aperçue d’une conséquence inattendue de sa campagne pour la vérité : la Gargote se vidait. Non seulement les derniers estivants rentraient chez eux en avance, mais en plus les résidents à l’année l’évitaient ! Cela n’avait pas arrêté Sylvie, bien au contraire : elle avait multiplié les pamphlets. À chaque nouveau mensonge qu’elle assénait, la "communauté" montrait un peu plus son vrai visage.
L’espoir qu’elle nourrissait malgré tout était de voir –enfin !– quelqu’un tenir un raisonnement. Qu’enfin, quelqu’un soit capable de se dire –tout simplement– : c’est faux pour moi, donc pourquoi pas pour les autres ?
C’était un soir de fatigue, en désespoir de cause, qu’elle s’était visée elle-même. Allaient-ils la condamner, elle, pilier du village depuis plus d’un quart de siècle, dont personne n’avait jamais eu à se plaindre, sur la foi d’un bout de papier jauni glissé dans leur boîte aux lettres par une main anonyme ? À ce moment, elle se doutait déjà de la réponse, mais ça ne l’avait pas empêchée d’être très déçue de ne pas être déçue.
Maintenant, les voilà qui parlaient de « chasse au corbeau ». Les imbéciles…
Ne comprendraient-ils donc jamais que le corbeau était en eux, nulle part ailleurs ? Comment aurait-elle pu leur faire croire des choses qu’ils ne voulaient pas croire ? C’était absurde… !
Le corbeau n’existait pas, et il serait temps qu’ils s’en rendent compte ! Il serait temps qu’ils se mettent à sa chasse au corbeau, au vrai corbeau, celui qui leur faisait croire n’importe quoi sur la foi de n’importe qui, celui qui les faisait cracher à la gueule de leurs voisins au moindre prétexte… ! Leur défiance, leur amour des ragots, leur crédulité de petits enfants et tout ce bordel dans leurs têtes, que même la chambre d’un gamin de quatre ans était mieux rangée ! Voilà ce qu’il fallait mettre en chasse et temps qu’ils ne l’auraient pas fait, rien ne pourrait s’arranger.
Rien, jamais.
Un pas sur le bois de sa terrasse la fit rouvrir les yeux qu’elle avait fermés. Quelqu’un entrait dans la Gargote.
Qui pouvait bien avoir assez de courage pour risquer son estomac ou plus incroyable encore pour venir simplement lui parler ? Ce serait donc si incroyable que quelqu’un se réveillât enfin, vînt lui confirmer que la réaction de tous les habitants du Domaine était lamentable, et peut-être même lui pardonner son exp&eac…
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