À quoi bon ?, par LéaLune

La nuit s’était posée comme une chape de plomb sur la maison. Dans ma chambre, les ombres s’étiraient sur les murs, dansant au rythme des lampadaires faiblards de la rue. Je m’étais allongé sur mon l…




Chapitre 5: Le cahier, par Bat.Jacl

L’escalier menant à la cave craquait sous mes pieds. À chaque pas, le bois semblait protester, comme s’il me suppliait de faire demi-tour. Mais je continuais, lentement, les mains tremblantes, le souffle court. Le grattement avait cessé. Plus un bruit. Juste mon cœur qui battait trop fort, et le silence, ce genre de silence épais qui donne l’impression que le monde retient sa respiration.

L’ampoule suspendue au plafond diffusait une lumière pâle, jaunie, qui n’éclairait pas vraiment. La cave sentait la poussière, le carton humide et les souvenirs oubliés. Il faisait froid. Pas un froid glacial, mais ce genre de fraîcheur immobile, propre aux endroits où plus personne ne met les pieds.

Je balayai la pièce du regard. Il n’y avait rien. Aucun monstre. Aucune silhouette. Aucune réponse à ma présence. Juste des cartons, empilés de travers, des objets recouverts de draps gris, un vieux vélo rouillé, et une trottinette cassée. Rien d’étrange. Rien de menaçant. Juste l’ordinaire, abandonné.

Mon regard se posa sur une boîte en plastique transparente, coincée sous une chaise renversée. Elle semblait différente. Plus récente, moins poussiéreuse. Curieux, je la tirai vers moi, m’accroupis et l’ouvris. À l’intérieur, des affaires de cours : un agenda corné, des feuilles volantes, quelques stylos sans bouchon, un paquet de chewing-gums moisis. Et, posé au fond, comme oublié là par accident… un petit cahier noir à spirales.

Il n’avait pas de titre. Juste un autocollant, griffonné au stylo bille : « Ne pas lire ».

Évidemment, je l’ai ouvert.

La première page portait une date : septembre 2015. Huit ans plus tôt. L’écriture était fine, penchée vers la droite, hésitante. Je tournai quelques pages, au hasard. Les mots sautaient aux yeux comme des éclats de pensées à vif.

« J’ai l’impression d’être un fantôme. Tout le monde me parle sans me voir. »

« Parfois, je me dis que mourir ne changerait rien. Peut-être que ce serait même plus simple. »

Je sentais ma gorge se nouer. Ces phrases, je les avais pensées. Peut-être pas mot pour mot, mais le fond… c’était moi. Ma fatigue, mon vide, ma peur. C’était là, écrit noir sur blanc, par quelqu’un d’autre. Ou… par moi ? Un moi que j’aurais oublié ? Rêvé ? Inventé ?

Je continuai à lire.

« Aujourd’hui encore, j’ai fait semblant. Souri, écouté, répondu. Mais à l’intérieur, y’avait juste du bruit. Et un mur. »

Chaque ligne résonnait. Une étrange sensation me gagnait : celle de lire une version ancienne, effacée de moi-même. Une version que j’aurais peut-être voulu enterrer. Je tournai la dernière page. Elle était blanche. Presque. Tout en bas, dans un coin, griffonné à la va-vite :

« Si tu lis ça… c’est que t’as cherché. Pourquoi t’as cherché ? »

Je restai figé, le cahier ouvert sur mes genoux. Mes doigts s’étaient crispés sur les spirales métalliques. Mon cœur battait plus vite. Je n’étais pas sûr de ce que je venais de découvrir. Un hasard ? Une coïncidence étrange ? Un message ? Un miroir ? Une boucle ?

Je me levai lentement, le cahier toujours en main. J’éteignis la lumière, refermai la porte derrière moi, et remontai l’escalier. Une pensée, tenace, se forma dans ma tête. Elle ne me quittait plus.

Je ne suis peut-être pas seul.