J’ai peur de ne pas y survivre. C’est simple. Le forgeron ne doit pas ébruiter mon secret : le loup-garou, c’est moi. Mais j’exècre, chaque nuit de pleine lune où je me transforme en cette bête. Escl…
— Dis moi où sont cachés les enfants, monstre, ou je t’écorche !
Le forgeron tient en main un tison dont la pointe rougeoie. Grand-mère a les yeux exorbités de terreur ; non pas à cause de l’homme, mais bien du feu. Le feu et nous c'est une longue histoire d’aversion profonde autant que d’irrépressible curiosité. L’homme reste où le feu est, le loup suit de près. Grand-mère ne répond pas et l’infâme plaque la pointe du tison contre son bras nu. Les traits de mémé se contractent, elle montre les crocs mais ne hurlera pas. Elle ne prendra jamais le risque de faire rappliquer les autres, que l'instinct grégaire jetterait dans sa gueule d’homme. Qu'ils hurlent et la meute tremble.
Mais moi, je grogne. Je sens la chair brûlée de mémé et mes cheveux se dressent. Je ne peux pas intervenir, cela nous compromettrait tous. J’ai confiance en Grand-mère, j’ai confiance en mes frères et sœurs qui savent se cacher dans la forêt. Il faut à présent qu’un autre que nous me fasse confiance, infailliblement.
— Démon ! Je vais te faire parler, chienne !
Mes sens aiguisés devinent la scène alors que je me suis déjà détournée pour rejoindre le village. J’entends le mouvement du tison dans l’air, je sens la brûlure, je sens la sueur, la peur et surtout, la haine en moi monter, me brûler vive. Il faut faire vite, avant que mémé ne se transforme.
Il me faut convaincre un homme de bien, quelqu’un dont l’avis n’est pas questionnable. Quelqu’un qui a de l’affection pour moi, qui ne doutera pas. Peut-être… peut-être… Mais oui !