— Bon… Je résume. Donc… tu es en train de me dire qu’on a un fils dans une autre réalité et que tu dois le retrouver dans cette réalité où il n’existe pas pour… sauver ta réalité où il existe ? C’est…
Le réveil fut plus agréable que je l’espérais, enfin il le resterait si Ash n’apprenait jamais qu’une jeune femme avait collé sa bouche à la mienne.
« Monsieur ? Vous allez bien ?
— Non.
— Où avez-vous mal ?
— Partout. Nulle part.
— C’est que ça va aller alors. »
L’infirmière tâta mon pouls, sembla le juger normal, me fixa dans les yeux avant de m’éblouir avec une lampe, écouta ma respiration en collant son oreille froide dans mon dos et finit par me juger apte à aller m’évanouir ailleurs. Je la remerciai vivement, lui proposai un dédommagement qu’elle refusa et la troupe de mes spectateurs, manifestement déçue de ne pouvoir assister à une représentation macabre, s’éparpilla aussi vite qu’elle s’était regroupée.
Il se mit à pleuvoir. D’abord de petites gouttes, puis des grosses.
« Papa ! Réveille-toi ! »
Ces derniers mots m’arrivaient comme un écho réverbéré de nombreuses fois. Si ténu et si dispersé que je n’aurais pu en déterminer la provenance, mais au moins c’était là une preuve de vie. Ou était-ce un simple souvenir, comme un mirage de ce passé qui disparaissait seconde après seconde ? Un magasin de multimédias me faisait face. Ils avaient allumé les écrans sur le journal du soir. La lumière capta mon attention et offrit à mon esprit le temps de redémarrage nécessaire.
« Des chercheurs suédois cherchent à démontrer que l’espace et le temps évoluent de manière quantifiée et ne sont pas un continuum. S’ils y arrivent, c’est un prix Nobel assuré.
— Ce n’est pas si simple, commenta un petit homme dégarni présenté comme un professeur de l’université de Paris-Saclay, pour cette démonstration de nombreux paramètres pourront varier et il faut bien prendre en compte que l’irrémédiable absolu ne peut pas être annihilé par l’illu… »
Je cessais d’écouter, à la deuxième phrase, la physique et moi, cela avait toujours fait deux. Pour appuyer sur un bouton, il n’était pas nécessaire de savoir comment cela fonctionnait. Un bandeau affichait que le journal venait d’apprendre le décès surprise de Mickaël Jackson. Et la première larme coula alors que j’entendais dans ma tête la voix d’Yves se joignant à la mienne : « Encore ! »
Un sanglot discret se fait entendre à mes côtés. Sans y jeter un regard, je sus que l’Univers pleurait avec moi et que son air moqueur avait disparu. Toutes les couleurs disparaissaient pour ne laisser la place qu'à du gris fade. Le monde autour de moi paraissait plongé dans un filtre qui donnerait bientôt l’aspect d’un vieux film en noir et blanc. Tant qu’il ne devenait pas muet, il y avait de l’espoir.
J’entrai dans le magasin afin d’y emprunter un ordinateur avec accès à internet. Suis Héméra. Et puis quoi encore ? D’après le premier site proposé, Héméra était une déesse du jour et de la lumière. Super ! Il faisait nuit. Fille de Nyx, merci ça je le savais maintenant et de ce vieux loup grincheux d’Érèbe. Elle se maria avec Éther pour engendrer Thalassa. L’émission de télé ? Ah non ! C’était le nom de la déesse marine, au temps pour moi, j’avais appris quelque chose, mais rien de bien utile.
« Perdu, le petit être. Perdu. Snif ! Plus qu’à pleurer toutes les larmes de l’océan, il n’a plus qu’à aller s’y fondre. »
Toujours énigmatique, l’Univers essayait-il de me guider ou me perdait-il dans une Odyssée semblable à la source d’inspiration de mes parents ? Je n’avais rien à perdre après tout. Heureusement que l’atlantique m’attendait à deux pas.
Dix minutes plus tard, qui me parurent durer une éternité, je me trouvais sur un ponton à admirer les vagues que la pluie frappait de toutes ses forces. Je restai là un moment, retournant les événements dans tous les sens, avec l’Univers qui s’appuyait sur mon dos.
« Papa, réveille-toi ! »
Le souvenir me fit bouger la tête vers le bâtiment le plus proche qui brillait de mille feux : « Ether.net computing cloud ». Même moi, le jeu de mots ne me fit pas rire. C’était trop lumineux et trop bruyant, alors je m’éloignai afin de jeter des cailloux dans la mer et les regarder se fondre dans la masse infinie d’eau qui s’étalait à l’horizon. Chaque caillou se perdait englouti par l’eau et aucun autre n’y faisait attention. Comme mon Yves. Il s’était perdu et apparemment par ma f…
« Éther. Thalassa. Ulysse, tu es une andouille ! " m’exclamai-je, apeurant quelques passants qui me prirent probablement pour un simple d’esprit dangereux.
En retournant sur mes pas, je ne pus m’empêcher de sourire, non pas de joie, mais d’un rictus mauvais.
« C’est l’heure de la baston ? demanda l’Univers.
— Pas encore, mais pour se réveiller, on peut mettre des baffes non ? »
Je tambourinai à la porte.
« Ouvrez ! S’il vous plaît ! Ouvrez ! »
Un gardien ressemblant à un stéréotype utilisé dans un mauvais film s’approcha, il ne lui manquait plus que le donut.
« Monsieur ! Ouvrez ! »
Je me poussai alors qu’il enclenchait la poignée sans le moindre effort.
« C’est ouvert ! Que voulez-vous ? »
Je souhaite voir Héméra.
« Je ne crois pas qu’elle reçoive à cette heure. »
Bingo ! Tout cela commençait à prendre sens. Un éclair traversa le ciel derrière moi, augmentant le charisme que j’empruntais à l’Univers.
« Bon attendez ici dans l’entrée, je vais voir ce que je peux faire pour vous. »
Un nouvel éclair suivi d’un coup de tonnerre qui dévoilait la proximité du phénomène.
« Oui ! Oui ! Je fais vite. »
Le stéréotype retourna à son bureau pour y décrocher son téléphone. Il échangea quelques instants avec une personne pendant que je ruminais mes pensées et mon agacement.
« Tu en as fait du chemin, mais peut-être tout cela n’est pas ce que tu attends ! déclara l’Univers en affichant toujours son rictus narquois.
- Vous pouvez avancer et vous rendre au deuxième étage, c’est le bureau en face de la sortie.
- Merci ! »
Le gardien reprit son poste, assis devant un petit écran qui affichait le journal télévisé avec le titre du jour « des chercheurs suédois cherchent à démontrer que l’espace et le temps évoluent de manière discrète et non continue ». Le débat faisait encore rage.
J’empruntai l’ascenseur en préparant mes poings et en tapotant sur le mur pour accélérer le temps qui s’allongeait encore et encore. À un moment, ma main se sépara en trois devant mes yeux ébahis. Je pensai que c’était une illusion de mon esprit, mais si c’était le cas, elle resta active le temps que j’arrive au deuxième étage.
Les battants s’ouvrirent, me dévoilant un couloir avec une seule porte sur laquelle un chariot d’or était gravé ainsi que l’inscription :
« Monitoring
&
Research
Asset »
J’ouvris la porte d’un coup de pied pour me retrouver face à un écran et un clavier. L’écran affichait « Nom d’utilisateur ».
Je rentrai Ulysse et entrée. L’écran répondit « Erreur, ce nom ne correspond pas à un utilisateur. Démarrage de l’interface graphique ! »
En un instant, je me retrouvai devant une jeune femme blonde à l’allure princière.
« Variable Ulysse. Qui t’a parlé de moi ?
- Nyx.
- Erreur, Nyx est obsolète. J’envoie Jörmungand pour traiter le problème.
- Ça ne résoudra pas mon problème.
- Quel est-il ?
- J’ai perdu ma clef, Yves.
- Impossible, une perte de clef entraînerait une perte de cohérence dans les données, les variables risquent d’être réécrites les unes sur les autres menant à un crash du système. La clef doit être retrouvée, ou la variable sera supprimée et le système réinitialisé.
- Qui peut me dire où elle se trouve ?
- Je lance la recherche. Merci de patienter. Erreur. La clef d’identification de la variable Ulysse a été supprimée. Pointeur invalide. Ses humeurs commencent à s’écrire sur la variable environnement. La simulation devient incohérente. Le système doit être réinitialisé et la variable sera supprimée si elle n’est pas remise à sa place.
- Où vont les variables supprimées ?
- Dans la corbeille jusqu’à ce qu’une information soit réécrite par-dessus.
- Comment me rendre dans la corbeille ?
- Impossible, sauf modification des paramètres.
- Qui définit les paramètres ?
- Erèbe gère les paramètres globaux et l’indexation.
- Il faut que je retourne voir ce loup galeux ?
- Souhaitez-vous vous rendre dans l’interface d’Erèbe ?
- Oui et immédiatement.
- Ksss Ksss ! rigola l’Univers. Quelle assurance ! »
Un flash et je me retrouvai dans la nuit la plus profonde face à cet énorme œil jaune.
« Encore toi ! Que veux-tu ?
- Modifier les paramètres de la simulation.
- Tu te moques de moi ! Rugis la bête.
- Alors, envoie-moi dans la corbeille.
- Avec plaisir ! »
Erèbe se leva pour me faire face et m’avala sans autre forme de procès.
Au-dessus de moi, l’espace infini m’offrait un spectacle magnifique. Il n’y avait aucune lumière à l’horizon excepté ces milliards d’étoiles et la Voie lactée étonnamment plus lumineuse que d’habitude. Mes pieds reposaient sur une surface liquide lisse comme un miroir d’eau posé sur une plaque de marbre parfaitement poli. J’avais l’impression de marcher sur l’eau excepté que tout cet espace était vide. J’avançai de quelques pas, mais il n’y avait rien à l’horizon.
« Hé ho ! Il y a quelqu’un ? »
Aucune réponse si ce n’était le silence de la nuit. Je marchai pendant des heures, mais seul le vide m’accueillit. Enfin, c’est ce que je croyais.
« Ksss ! Ksss ! Tout ça pour ça ! Ksss ! Ksss ! Prêt à disparaître ?
— Pourquoi ?
— La simulation va être réinitialisée pour ne pas crasher. Erèbe ajuste les paramètres, M&RA calcule les conséquences et les parties de programme de Nyx la ralentissent un peu. Je vais être réinitialisé sans toi, sauf si tu trouves ta clef. »
Effectivement, mes mains étaient à présent au nombre de 5 et n’agissaient pas toutes de la même manière. Je me diluais et mon temps était compté.
« Sais-tu où elle est ?
— La variable Ash t’a donné la réponse. Elle est en toi, mais seul toi pourras décider de ce que tu en feras. Ksss ! Ksss !
— Quoi ?
— Papa, réveille toi, je t’en prie ! »
Alors qu'il prononçait ces mots, l’Univers se divisa. Une lumière en sanglot se détacha et vint se placer à droite.
« Papa ! Réveille-toi ! déclara l’Univers plein de rage en se plaçant sur la gauche. »
Ainsi de suite, plusieurs Univers, plusieurs futurs possibles se détachèrent un à un : un joyeux, un moqueur, un dégoutté, un calme, un rêveur qui oublia la moitié de ses mots, un danseur et ainsi de suite jusqu’à ce qu’une centaine d’Univers lui crient la même phrase : « Papa, réveille-toi, s’il te plaît ! »
« Alors, petit-être, voici toutes les versions de ta clef qui existent. Laquelle choisiras-tu de remmener avec toi aujourd’hui ?
— Toutes !
— Ce n’est pas possible !
— Combien de mémoire te faut-il ?
— C’est impossible.
— Alors, je choisis de ne pas repartir.
— Bouhouhou, tu abandonnes déjà ! Il te reste du temps, petit-être.
— Puis-je lui parler une dernière fois ?
— Il t’écoute.
— Yves. Je suis désolé. Tout ce que je voulais c’était une vie simple et par ma faute, tu t’es retrouvé embarqué dans tout ça. Tu as disparu et depuis, je ne peux plus respirer. »
Alors que je parlai et que mes membres disparaissaient peu à peu, chaque version de l’Univers commença à prendre une allure différente. Les tailles et la morphologie variaient d’une version à l’autre.
« Toutes ces émotions que je vois devant moi, tous ces stades de ta vie, j’espérais te voir les vivre une à une et grandir devant mes yeux. »
Ce n’était plus une illusion, chaque version de l’Univers avait le visage de mon fils, mais à des stades différents de sa vie.
« Tout ça, toutes ces possibilités pour l’avenir, je comprends que c’est toi. Je ne peux pas tous vous renvoyer, mais je crois qu’un seul suffit. Univers, peux-tu me répondre ?
— Ksss ! Ksss ! Je le fais déjà ! me répondirent la centaine d’Yves dans un tonnerre.
— Si je renvoie dans la simulation le plus jeune Yves, les autres suivront ?
— Avec le temps, probablement, je ne peux être sûr de rien pour le moment. »
Je cherchai un moment, scrutant de mes yeux qui se désagrégeaient la version d’Yves la plus proche de celle que j’avais tenue dans mes bras. Elle luisait d’une énergie plus forte que les autres. Juste avant de disparaître je murmurai : « Yves, souviens-toi que ton père t’aime. Univers, Erèbe, sortez cette version de la corbeille ! »
Et Yves retournant près des siens fut la dernière vision que je captai avant de me retrouver dans le noir.
« Papa ! Réveille-toi ! Papa ! »
Yves pleurait à chaudes larmes. Je sentais qu’il me poussait délicatement l’épaule, alors j’ouvris les yeux pour découvrir une femme en tenue d’infirmière. Elle venait manifestement de me faire du bouche-à-bouche. Son badge annonçait « Ashley ».
« Où suis-je ?
— Sur le sol, dans la rue. Vous vous êtes évanoui !
— Vraiment ?
— Vraiment. Vous pouvez être fier de votre fils, il a été chercher les secours.
— Je l’ai toujours été, déclarai-je en lui frottant les cheveux.
— Je vous recommande d’aller voir un médecin de toute urgence.
— Merci. Je n’y manquerai pas.
— Très bien, alors je retourne bosser et tu m’accompagnes, murmura-t-elle à mon oreille.
— On arrive, maman ! lança Yves avec un grand sourire. »
Elle m’agrippa et m’entraîna avec elle, Yves sur mes talons. En marchant, nous passâmes devant le magasin d’outils informatiques. Les écrans annonçaient que deux chercheurs suédois essayaient de démontrer que l’espace et le temps étaient quantifiés et que les funérailles de Michaël Jackson, décédé deux jours auparavant auraient lieu en fin de semaine.
« Je ne sais pas de quoi tu as rêvé, mais ça avait l’air réel pour toi. Tu t’es débattu comme un tigre.
— Était-ce un rêve ? Était-ce la réalité ? Personne ne le sait ! Personne ! »
Le contenu de ce chapitre a été inclus dans le précédent. Merci de ne pas tenir compte de cette page et toutes mes excuses pour la gêne occasionnée.