Le bois humide du portail glisse sous mes doigts. Je trouve le loquet sans même le regarder et entrouvre le battant bloqué par le lierre et les ronces. Je me faufile difficilement dans le modeste jar…
Un rayon de soleil réchauffe mon visage, je ressens la chaleur sur mes joues. Des ombres ondulent devant mes yeux clos. Je les ouvrirai dans un instant, mais pour le moment je veux profiter encore de cette position allongée, les bras croisés derrière la tête. La bise d’été vient délicatement caresser ma peau et ramène une autre sensation oubliée depuis des lustres : celle d’une truffe froide sur mon menton associée à un ronronnement sourd sur ma poitrine. Une langue râpeuse de berger allemand parcourt mes doigts comme s’il restait un peu de nourriture à y dégotter. Il ne m’a pas fallu beaucoup de temps pour les reconnaître tous.
À leur appel, j’ouvre enfin les yeux, mais ne décèle que leur présence, sans les voir. Pourtant ils se trouvaient bien là, parmi les blés qui dansent au-dessus de moi. C’est eux qui filtraient la lumière du soleil. Le ciel au firmament prend des teintes entre l’orangé et le bleu sombre et malgré tout, des étoiles y brillent déjà. Je m’assois pour les admirer. Les constellations qu’elles forment n’existent que dans mon esprit et cependant je les reconnais en un instant. Un livre représente le nombre d’heures passées à parcourir leurs pages, une balance pour cet esprit de justice qui m’a animé tant d’années, ma famille, un foyer et tant d’autres valeurs qui ont imprégné chaque moment de ma vie.
À perte de vue, il n’y a que des collines occupées par un infini champ de blé. Ils arrivent presque à maturité et la lumière du soleil les fait briller à la manière d’une bague en or rouge. La scène me procure un sentiment de sécurité et de plénitude. Plus rien n’a d’importance exceptée sentir cette brise qui s’estompe peu à peu jusqu’à s’arrêter complètement. Devant mes yeux, onze sillons se forment dans les blés en aval. Ils courent manifestement vers la dune d’en face. Un muret de pierre les sépare et derrière les champs ne connaissent aucune fin.
Lorsqu’ils la franchissent, leurs ombres apparaissent enfin, et je suis ravi de voir qu’ils filent de concert même s’ils ne se sont jamais rencontrés. Le hamster est grimpé sur la tête d’un chat lui-même perché sur un labrador. Ils remontent à présent vers une rangée de personnes qui attendent devant l’astre du jour. Il m’éblouit bien trop pour que je les distingue. Seul le sourire de celui qui se trouve en premier ressort. Un sourire que j’aurais reconnu entre mille et que je suis ravi de retrouver.
Je me retourne une dernière fois vers le côté nuit, avant d'abandonner mon rêve, mais le vent et le mouvement se sont complètement tus. Il n’y a plus rien pour moi là-bas. Alors je me lève et emplis de joie et me dirige à mon tour vers le muret. Il ne dépasse pas mon genou. J’hésite un instant. Je me remémore tous ceux qui me sont chers et pour qui je ne peux plus rien. Je les remercie intérieurement, puis dans un murmure, je passe les pierres.