🌠 Plongez dans le "Rêve" : 2ème Édition de Notre Concours de Nouvelles CollaborativesChers membres de The Root Book,Suite au succès retentissant de notre première &e…
Erica avançait doucement. Ses pieds nus foulaient la mousse humide. La brume, autour d'elle, semblait vouloir la draper entièrement. Ses cheveux, rendus lourds par l'humidité, collaient à sa peau laiteuse. Elle ne savait pas exactement où elle se trouvait et voyait à peine à quelques mètres devant elle, le brouillard rendant incertains les contours des arbres et étouffant les sons familiers des sous-bois. Pas de chant d'oiseaux, aucun bruit de feuilles qu'on frôle ou qu'on écrase. Personne d'autre qu'elle et cette musique, si familière... On aurait dit un murmure, un chuchotement. Quelques notes égrainées qui se répétaient inlassablement. Un peu comme une boîte à musique qu’on aurait oublié de refermer. Erica se laissait guider par ce son ensorcelant. Elle avançait, depuis des heures, sans fatigue, sans douleur. Elle voulait trouver la source de la mélodie et en suivait les notes comme on suivrait un chemin.
Soudain la musique se fit dissonante. Erica porta les mains à ses oreilles. Le bruit diminua mais les notes s'évanouirent elles aussi. La jeune femme posa son front sur le tronc le plus proche et se laissa glisser contre l'écorce. Elle se blottit au creux des racines séculaires et se mit à fredonner la mélodie perdue. Mais le vacarme ne fit que s'intensifier faisant disparaître la forêt. Erica battit des cils. La lumière éblouit ses yeux encore ensommeillés. Le son strident du radio réveil lui vrillait les tympans. Elle frappa l'appareil de la paume de sa main pour le faire taire.
Émergeant doucement, elle se roula en boule sous sa couette une dernière fois avant de se lever. Encore ce rêve. Toujours le même depuis... combien de temps déjà ? Se redressant, elle s'étira et sortit du lit. Pas le temps de tergiverser, la journée commençait. Elle se doucha rapidement, s'habilla et prit un thé à la hâte avant de sortir de l'immeuble. Elle marqua un temps une fois la porte d'entrée franchie. Il y avait de la brume aujourd'hui. Elle se surprit à fredonner cet air si entêtant alors qu'elle prenait le chemin du travail.
Erica était comptable dans une petite société. Cela ne la passionnait pas mais il fallait bien gagner sa vie. Elle partait au travail, rentrait chez elle. Elle n'avait plus de famille, pas d'activités de prédilection si ce n'était la lecture et les longues balades dans la nature. Quelques amants de passage ponctuaient son quotidien monotone, présentés par des amies la considérant comme une antique vieille fille. Pourtant, elle savait, au fond d'elle, que sa vie ne lui ressemblait pas. Elle n'avait tout simplement pas trouvé ce qu’elle cherchait. Elle avait envie d'autre chose, envie de plus, d’autres contrées, d’autres mondes… Cette forêt par exemple, ce n'était pas juste un rêve, c'était chez elle. Quand elle y allait, elle sentait ses origines résonner. Elle avait tenté d'expliquer ça à sa meilleure amie un jour mais elle l'avait prise pour une folle, lui disant qu'il fallait qu'elle consulte ou qu'elle se trouve un amant digne de ce nom pour arrêter ses élucubrations. Depuis, Erica n’en parlait plus mais elle y retournait toutes les nuits. Et pour se souvenir qu'il ne s'agissait pas juste d'un rêve, elle fredonnait ces quelques notes qui tournaient en boucle dans sa tête.
La journée avait été pénible. Après un pot entre collègues tout aussi ennuyeux, Erica rentra chez elle mentalement épuisée. Elle n'en pouvait plus de cette vie. Après un bon bain chaud, elle tenta de s'évader en prenant un livre mais le sommeil la gagnait déjà et elle décida d'aller se coucher.
Au cœur de la nuit. Erica retrouva sa forêt. Elle avançait, ses pieds s'enfonçant dans les feuilles humides. La musique était encore là. Elle l'appelait, comme une mère appelle son enfant. Erica la suivait, se laissant envelopper par sa douce vibration. Elle la sentait presque sur sa peau. Elle marchait, évitant les buissons presque effacés par la brume et se retrouva face à un arbre immense. Erica s'en approcha et entoura ses bras autour du tronc, appuyant son front sur la mousse. Elle se laissa glisser à son pied et s'allongea entre les racines du géant. Quelques minutes de repos, quelques minutes de douceur.
Erica battit des cils. Le réveil n'avait pas encore sonné. Il devait être encore très tôt. La lumière était blafarde. Elle força ses yeux à rester fermés, se roula en boule pour retrouver le chemin de ses rêves mais elle avait froid. Tellement froid. Sa couette avait dû glisser. Ouvrant les yeux, elle se redressa. Pas de couette, pas de lit, ni même de chambre. La forêt était là devant elle, autour d’elle. C’était parfaitement impossible et pourtant elle se trouvait tellement à sa place. Depuis le temps qu’elle voulait y rester, ne pas se réveiller, ne pas reprendre le court de sa vie si morne. Elle se leva. La rosée du matin la fit frissonner. Il faisait jour depuis peu. Les rayons du soleil transperçaient à peine le manteau de brume abandonné par la nuit. Inspirant profondément, elle remplit son être de l'odeur du sous-bois.
C'est alors que les notes réapparurent. Plus faiblement mais tout près d'elle. Juste derrière l'arbre au pied duquel elle s'était reposée. Elle glissa une main le long du tronc coulant son corps le long de l'arbre dans un même mouvement. Un homme était assis sur un rocher moussu à quelques pas de là. Il était vêtu d'une capeline grise et la capuche relevée recouvrait partiellement son visage. A l'aide d'un morceau de cuir, il affûtait sa dague avec application. Erica se dit qu'elle aurait dû s'enfuir ou tout du moins y songer mais elle n'arrivait pas à détacher ses yeux des lèvres de l'étranger qui sifflotait.Sentant le regard d'Erica sur lui, il releva les yeux et le silence se fit.
Toujours à demi derrière son arbre, Erica murmura plus qu'elle ne questionna : « Quelle est cette musique ? »
Un bref éclair narquois illumina les traits altiers de l'homme avant que son visage ne se fige à nouveau. Il sauta souplement à terre et s'avança vers elle d'une démarche féline et assurée. Il avait les cheveux d'ébène, noirs comme une nuit sans lune, longs et attachés par un catogan. Son teint était pâle, ses traits affirmés, carrés, durs. Ses yeux couleur de brume étaient froids alors qu'il la dévisageait. Au bout de quelques secondes, il lui désigna du bout de sa dague un tas de vêtements posé au pied du hêtre, passa devant elle, lui tournant délibérément le dos et lui lança : « Habille toi, la route est longue. »
Erica n'hésita pas malgré la singularité de la situation. Elle se dit que si l'homme avait voulu lui faire du mal il l'aurait déjà fait. Elle obtempéra donc et enfila rapidement les vêtements et bottes couleur de crépuscule que l'étranger lui avait désignés. Elle finit par s'envelopper dans la grande capeline qui parachevait sa tenue et remarqua alors que tout était parfaitement à sa taille. L'étranger lança un œil furtif vers elle et voyant qu'elle était prête, fit un geste de la main pour lui intimer de le suivre. Erica lui emboîta le pas. Elle faillit le perdre de vue à plusieurs reprises. Sa silhouette longue et élancée vêtue de gris se confondait avec la brume. Il aurait pu y disparaître presque totalement si elle ne l'avait pas suivi des yeux en permanence. Elle s'étonna de pouvoir suivre son rythme si rapide et n'osait laisser son esprit vagabonder au risque de s'égarer. Il ne suivait pas les chemins forestiers, pas plus qu'il n'orientait sa course en fonction des arbres ou des buissons. Il serpentait au cœur de la brume, suivant ses courbes et ses volutes sans jamais un regard en arrière ou une hésitation. Et sans un bruit. Elle ne devait pas le perdre. A aucun prix. Elle comprit pourquoi la mélodie lui échappait lorsqu'elle la suivait dans ses rêves. Elle était liée aux couloirs de brumes et ceux-ci ne semblaient s'ouvrir que devant lui.
Alors qu'elle pensait que jamais leur course ne se terminerait, la brume se fit plus rare. Le pas de son guide se fit moins rapide. Les dernières écharpes de brouillard se ternirent. L'étranger tourna rapidement la tête vers elle et sembla presque étonné de constater qu'elle était toujours derrière lui. Il eut un rapide regard appréciateur mais n'interrompit pas sa marche. Erica ralentit, impressionnée. Ils venaient de déboucher dans une immense clairière au sein de laquelle se dressait le hêtre le plus majestueux qu'il lui ait été donné de voir. Des arbres plus petits l'entouraient. Tous étaient reliés par des chemins de cordes et semblaient abriter des logis entièrement faits de feuilles et de branches. Une foule clairsemée montait, descendait des arbres ou vaquait à des occupations diverses. Leurs vêtements éclatant juraient avec ceux de son guide ou les siens. Des regards se tournèrent vers eux mais sans ostentation et avec un respect manifeste pour l'homme qui l'accompagnait. Qui était-il ? Alors qu'Erica s'interrogeait, elle manqua de le percuter. Il avait stoppé net sa marche devant un homme plus âgé que lui, inclinant rapidement la tête et s'effaçant pour laisser passer la jeune femme.
Devant elle se trouvait un homme dont le charisme ne laissait pas de doute sur son statut de chef. Seuls ses cheveux aux teintes de nuit parsemés de fils d'argent laissaient transparaître son âge. Grand et massif, il imposait le respect par sa seule présence. Son uniforme bleu sombre faisait ressortir ses yeux de jade. Il fit quelques pas vers elle et prit ses mains entre les siennes. Son visage était grave et sa voix trahit son émotion.
« Enfin tu es revenue. Le rêve est un sentier fragile mais tu as entendu la musique, n'est-ce pas ? Ethràn le savait et il t'a ramenée. Bienvenue chez toi mon enfant ! »