L'Étoile, par Lyn

D’abord Estelle attendit, une minute après l’autre, pétrifiée et aux aguets, attentive au moindre changement dans la respiration de son aînée, au moindre froissement de draps. « Si Mamie apparaît dan…




Chapitre 3: Le murmure de la cendre, par LéaLune

La journée s’étira comme un rêve dont on ne parvient pas à sortir. Estelle gardait la carte de l’Étoile à portée de main, ses doigts effleurant sans cesse ses bords usés, comme pour s’ancrer à quelque chose de tangible. Pourtant, chaque regard posé sur la femme de la carte lui laissait un goût amer d’inquiétude. Derrière cette image d’espoir, elle sentait une ombre grandir, discrète mais implacable.

La nuit tomba doucement, enrobant la maison dans un silence épais, trop dense. Estelle s’agita dans son lit, le sommeil fuyant. Les paroles de Maman résonnaient en elle : « Rien de mal ne va arriver. » Mais ce mensonge doux-amer ne suffisait plus à masquer la peur qui coulait sous sa peau. Elle sentait encore la brûlure de la cendre sur ses doigts, l’écho du rêve dans chaque battement de son cœur.

Quand elle ferma enfin les yeux, le rêve la reprit, aussi naturellement qu’une vague engloutit le sable. Elle se trouvait dans un champ, immense et sans fin, avec un ciel autrefois éclatant, désormais percé de trous noirs. Les étoiles, une à une, s’éteignaient, glissant dans l’oubli comme si elles n’avaient jamais existé. Chaque scintillement mourant amplifiait la solitude d’Estelle. Elle sentait leur absence comme un froid mordant.

Au loin, une silhouette. Aurore. Ses cheveux dansaient au vent, et elle marchait, toujours plus loin, comme guidée par une force invisible. Estelle voulut l’appeler, mais sa gorge était nouée, incapable d’émettre le moindre son. Ses jambes se mirent en mouvement, mais chaque pas s’enfonçait un peu plus dans le sol, devenu cendre. Les particules grises l’engloutissaient lentement, comme un marécage qui ne laissait aucune chance de fuite.

Alors, une voix. Si douce, si lointaine : « La cendre est inévitable, mais tu as encore le choix… »

La voix de Mamie. Elle résonnait en elle comme un souvenir ancien, gravé au plus profond de sa mémoire. Estelle tourna sur elle-même, cherchant Mamie dans cette immensité dévorée par l’obscurité, mais elle était seule. Totalement seule. La cendre, elle, continuait de tomber, froide et légère, s’insinuant dans sa peau, comme si elle cherchait à la consommer, doucement, patiemment.

« Tout est déjà écrit… mais tu peux encore changer ton chemin… »

Le murmure s’intensifiait, envahissant ses pensées comme une promesse brisée. Des larmes brûlantes glissèrent le long de ses joues. Estelle fixait toujours Aurore, qui, imperturbable, disparaissait peu à peu dans le néant. Elle voulut crier son nom, mais le sol s’affaissa brusquement sous elle. Ses jambes disparurent dans la cendre mouvante, la cendre qui ne voulait qu’une chose : l’engloutir.

Et alors, tout cessa. Aurore, le ciel, les étoiles. Le silence. La poussière.

Estelle ouvrit les yeux, suffocante. Le monde était revenu à sa normalité oppressante, cette pièce trop sombre, trop vide. La carte de l’Étoile luisait faiblement sur la table de nuit. Elle se leva, pieds nus, sentant le froid du sol comme un rappel brutal qu’elle était toujours là, dans cette réalité qu’elle ne comprenait plus.

Elle descendit, en silence, jusqu’à la cuisine. Maman était déjà là. Elle ne dormait jamais bien ces derniers temps. Elle était assise à la table, les cartes de tarot éparpillées devant elle, comme si elle avait essayé de trouver des réponses toute la nuit. Le regard qu’elle leva vers Estelle n’était pas celui d’une mère sereine. Il était rempli d’une tristesse infinie, une tristesse qu’elle ne cherchait plus à dissimuler.

Estelle s’approcha lentement, la voix faible, comme si parler pouvait briser quelque chose d’irréparable :

« Qu’est-ce qu’on fait, Maman ? »

Maman ne répondit pas. Elle tenait une carte entre ses doigts tremblants. La Tour. Le symbole de l’effondrement. De la chute.

Le silence entre elles devint une vérité brutale, plus lourde que toutes les cartes retournées sur la table. Estelle savait alors, d’un savoir viscéral, que rien ne pouvait être changé. Que tout était déjà gravé quelque part, dans un coin sombre du monde. La cendre, le silence, l’inévitable.

Elle s’assit près de sa mère, son regard fixé sur les cartes qui ne lui disaient plus rien. Au fond, elles n’avaient jamais vraiment eu de réponses à offrir.

Les étoiles de son rêve continuaient de s’éteindre, et elle se demanda combien de temps il lui restait avant que la dernière lumière ne disparaisse.