En me prenant par le bras, ma grand-mère d'Eden me ramena à la maison, marchant lentement à travers les rues pavées de la vieille ville. Le soleil d'été bril…
Le souffle court, Éden s'appuya contre la rambarde de la bibliothèque, observant le tiroir désormais ouvert. Dans l’ombre de la pièce, les livres occultes semblaient palpiter d’un pouvoir ancien, comme si chaque page recelait des secrets prêts à éclater au grand jour. Son regard s’attarda sur l’un d’eux, un volume usé, à la reliure craquelée, dont le titre, « Les Dieux Oubliés », brillait faiblement sous la lumière vacillante de la lampe. Une étrange sensation l’envahit, comme si le livre l’appelait silencieusement. Ses doigts tremblants effleurèrent la couverture, et elle l’ouvrit, le craquement des pages résonnant comme une litanie interdite. L’air s’alourdit, et elle perçut comme un frémissement autour d’elle, un souffle invisible, celui de secrets immémoriaux. Elle parcourut les premières lignes, son cœur battant la chamade. Chaque mot semblait danser devant ses yeux, noué à un sortilège qu’elle peinait à saisir. «Eros, maître des désirs, dieu oublié de la passion interdite, celui qui unit et déchire, porteur d’une marque indélébile… ». Éden sentit une brûlure sur son front, un écho lointain de la douleur ressentie sous la lumière rouge de la lune. Elle se souvint des paroles anciennes de sa grand-mère, comme un chœur lointain : « La marque d'Eros, mon enfant, c'est le sceau de l'âme piégée. L'amour qu'il offre est à double tranchant. » Ses mots revenaient, tournoyaient dans son esprit, pareils à des ombres insaisissables. Elle réalisa alors que l’amour qu’elle connaissait, celui qui fleurit doucement dans les cœurs humains, n’était qu’une pâle imitation de la passion violente et cruelle d’Eros, ce dieu capable de brûler une âme pour la rendre éternelle. Elle tourna fébrilement les pages, cherchant une réponse, une explication à la marque sur son front. Les mots, enchevêtrés d’allégories, la plongeaient dans un monde mystique où le désir prenait des formes nouvelles. Les dieux anciens, ces figures oubliées, étaient décrits comme des forces vives, des énergies qui transcendaient la simple compréhension humaine. Eros, parmi eux, était l'incarnation de la passion dévastatrice, son arc tirant des flèches invisibles qui perçaient l'âme aussi sûrement que le corps. Soudain, un paragraphe attira son attention, écrit d’une main différente, presque tremblante : « Lorsque Eros choisit une âme, il la lie par une marque, un sceau d’amour et de tourment. Celui ou celle qui porte cette marque n’échappera jamais à son destin. Eros ne blesse pas seulement le cœur, il brûle les désirs les plus enfouis et consume la raison. La lune rouge est son témoin, le moment où le choix devient irréversible. » La lune rouge. Cette image se superposa à celle de la nuit passée. Tout ce rouge... comme un voile de sang jeté sur le monde. Un oxymore tragique : cette lumière attirante et fatale, à la fois belle et effrayante, lui rappelait l’ironie cruelle de l’amour qu’Eros dispensait. Une mise en garde vivante de la passion qui détruit tout sur son passage. Éden se redressa, secouée. Ce dieu qu’elle avait rencontré, dans l’obscurité de la nuit, n’était pas simplement un dieu de l’amour. Il était le maître des désirs incontrôlables, celui qui, par une simple caresse, pouvait transformer le plus pur des sentiments en une tempête d’angoisses et de peurs. Un froissement derrière elle la fit sursauter. Sa grand-mère se tenait dans l’encadrement de la porte, les yeux perçants, mais cette fois, sans colère. Il y avait dans son regard une lourde résignation, comme si elle savait que ce moment arriverait. « Tu as trouvé, » murmura-t-elle, sa voix traînante comme celle d’un oracle. « Je n’ai pas pu t’en protéger. Personne ne peut. Ça devait être toi. » Éden referma le livre d’un geste lent, mais ses doigts restèrent figés sur la couverture. Elle chercha les mots, mais aucun ne lui venait. La vérité se dessinait devant elle, implacable. « Eros l’avait choisie. » Un choix auquel elle ne pouvait échapper. Les engrenages de la passion, des chaînes invisibles qui l’enveloppaient, s’incarnaient maintenant dans son corps et son esprit. Sa grand-mère s'approcha, posant une main sur son épaule, légère comme une plume, mais lourde de signification. « Ce n’est pas la première fois que cette marque frappe notre famille. Ta mère, aussi, l’a portée. C’est pourquoi elle a disparu. Elle n’a pas pu supporter l’amour qu’Eros lui avait infligé. C’est un amour si vaste qu’il écrase tout. Il s’empare de toi, et te laisse vide, consumée. » Éden leva un regard voilé vers elle. « Que dois-je faire ? Comment échapper à cette… malédiction ? » Sa grand-mère secoua la tête, un sourire triste effleurant ses lèvres. « On n’échappe pas à Eros, ma chère. Mais tu peux comprendre la nature de son pouvoir. L’amour qu’il offre n’est pas un simple jeu d’émotions. C’est une force, une énergie qui dévaste et renforce à la fois. Si tu l’acceptes, tu pourrais trouver en toi la force de dompter ce que d’autres ont fui. » Le vent dehors, tel un murmure, se glissait contre les murs de la maison. Le nom d’Eros, dans ce souffle, semblait vivant, comme s’il attendait de se manifester à nouveau, sous une nouvelle lune sang.