🌠 Plongez dans le "Rêve" : 2ème Édition de Notre Concours de Nouvelles CollaborativesChers membres de The Root Book,Suite au succès retentissant de notre première &e…
J’étais saisi par la tristesse de sa situation.
Moi, je passais ma vie dans un bras de fer avec le destin, avec pour seule arme, me semblait-il, un attrape-rêves. J’étais tout juste bon à voir ces rêves se transformer en volutes de fumée ou en de drôles de bulles de savon prêtes à éclater. Acteur ? Souvent. Perdant ? Toujours.
J’étais saisi par l’absence de perspectives de cette femme. Sexagénaire, déjà écrasée depuis longtemps par un destin à moitié choisi, elle ne semblait pas vraiment maîtresse de ses actions. Elle ne semblait plus espérer de la vie qu’un peu de tranquillité et peu de remous. Pourtant, je percevais de la peine au coin de ses yeux, parfois. Du regret ou peut-être de la mélancolie. Quand je la voyais, je ne pouvais m’empêcher de me dire que la fatalité était sans doute notre meilleure arme contre nous-mêmes. Une arme contre le moindre rêve que nous pouvions avoir, ou avoir eu.
Pourtant, dans son salon dépourvu de bruit, tout plein de monotonie et si vide d’extravagance, voire de vie ; on pouvait apercevoir çà et là de petites incartades à cette vie anonyme et sans relief.
Ici, une assiette en porcelaine, là une impression à l’encre, du bois flotté ou un vase sur ce qui me semblait être, pardonnez mon ignorance, un set de table. Mais surtout des cadres immobiles agrémentaient ce foyer. Tout ceci contribuait à façonner ce concept ordinaire de nos sociétés modernes : la décoration.
Par ce moyen génial, nous pouvions marquer le fil de notre quotidien et influencer l’appréciation que les autres auraient de nous. Cela nous permettait de mettre notre touche personnelle, notre grain.
Toute l’extravagance, la fantaisie, la folie peut-être. Toutes ces choses si longtemps refoulées s’exprimaient ici avec subtilité. Il y avait le choix du tableau lui-même ou de l’illustration, bien sûr. Mais c’était dans l’ornement, dans la mise en relief, dans le jeu des perspectives, le choix d’une couleur. C’était dans le cadre donc, que résidait son génie.
Tous les jeudis, elle disparaissait un instant à son cours d’encadrement.
Elle faisait des cadres. Elle en avait offert beaucoup déjà, elle ne savait plus quoi en faire. Ils avaient fini par s’entasser dans quelques recoins de la maison, accumulant la poussière.
Tous les jeudis, entre 18h et 20h, entre la règle, la baguette et le cutter, dans quelles rêveries s’embarquait-elle ? Vers où voguait-elle dans ces flots de colle ? Quelles perspectives s’ouvraient à elle sur ces îlots de carton ?
Qui donc pouvait dire ce qui l’animait pour nous faire rencontrer dans ces cadres toutes ces personnes qu’elle n’était pas ?
J’entendis la porte se fermer, il était 17h30, nous étions jeudi.