Concours de Nouvelles : Rêve, par information.the.root.book

🌠 Plongez dans le "Rêve" : 2ème Édition de Notre Concours de Nouvelles CollaborativesChers membres de The Root Book,Suite au succès retentissant de notre première &e…




Chapitre 1: Sous le sable, par Shadowlight

Le souffle continu de la climatisation peine à maintenir une ambiance agréable. L’intérieur du 4X4 tourne à l’étuve. Aujourd’hui, les températures extérieures flirtent avec les cinquante-cinq degrés. Nous sommes dans le Rub Al-Khali, appelé à juste titre le Quart Vide, une des régions les plus inhospitalières du globe.

Sous sa couche de poussière orangée, le véhicule jadis blanc tressaute sur la piste défoncée. Damien fait son possible pour nous préserver des innombrables nids de poule, mais ses coups de volant intempestifs restent peu efficaces. Les amortisseurs fatigués grincent et essaient tant bien que mal d’absorber les irrégularités du terrain.

Encore une fois, je vérifie les données GPS afin de m’assurer tenir le bon cap. Sans cet appareil, il serait difficile de se repérer au milieu de ces contrées arides dépourvues du moindre repère. Mon attention dérive de l’écran à la carte topographique posée sur mes genoux. Dans le coin droit se trouve épinglée la photo qui vient de bouleverser notre quotidien.

Une sixième saison dans les dunes du Sultanat d’Oman n’avait jusqu’alors rien permis d’exhumer de bien excitant. À part d’autres bifaces datant du Néolithique, les fouilles s’étaient avérées pour le moins décevantes. Pas de nouvelles chambres funéraires ni de gravures rupestres, juste des outils de pierre qui témoignaient des premières migrations humaines hors d’Afrique.

Émouvant, mais sans commune mesure avec le cliché reçu la semaine dernière. Si l’analyse du Conseil National de la Recherche Archéologique est exacte, nos noms figureront bientôt en tête d’affiche des médias spécialisés parisiens, et peut-être du monde entier !

Je regarde encore une fois l’image satellitaire qui détaille l’anomalie structurelle enfouie sous le sable. Elle montre neuf cercles grisés relié entre eux par des lignes se rejoignant au centre. L’assemblage révélé par le LiDAR s’étend sur près de cinq cents mètres carrés en plein milieu du désert, entre les terres dépeuplées de l’Arabie Saoudite, du Yémen et d’Oman.

En raison de notre présence sur place, le CNRA nous avait demandé de suspendre nos fouilles et d’investiguer ce qui pouvait être les vestiges d’une civilisation disparue. Peut-être les restes de la mythique ville d’Iram, la Cité des Piliers, mentionnée dans les sourates du Coran. La légende véhiculait qu’elle avait été bâtie par les descendants de Noé.

Si les faits se vérifient, une découverte de cette ampleur nous assurera la reconnaissance parmi nos pairs du monde archéologique. Un rêve auquel chacun d’entre nous aspire en secret.

— Alors Chloé ? On n’est pas paumé au moins ? questionne Damien.

— Si je sais lire une carte et extrapoler des points géodésiques, je te confirme que nous sommes toujours dans la bonne direction, mon cher.

Il s’esclaffe de bon cœur. 

— Combien de temps avant de quitter ce satané reliquat de piste ?

— Quelques heures tout au plus. Après, nous aurons trois jours de route dans les dunes avant de rallier l’anomalie. Elle se trouve enfouie à proximité du « croc de Sheitan ».

— J’ai hâte d’arriver à ce caillou perdu !

— Ah ? J’aurai plutôt pensé que tu te réjouissais de passer des nuits supplémentaires en mon irrésistible compagnie, blotti bien au chaud contre moi. Tu déçois mon petit cœur d’anthropologue en manque d’aventure.

Damien tourne vers moi son visage buriné empreint d’une moue dubitative. Mon franc-parler ne cesse de le désarçonner. Sa main abandonne le levier de vitesse pour se poser sur ma cuisse, caresse un instant la peau dénudée au bas de mon short. Ses yeux gris, tirés de fatigue par notre dernière coucherie exaltée, brillent sous des sourcils froncés.

— N’inversons pas les rôles, s’il te plait. C’est toi qui cherches à te réchauffer quand les températures chutent. Et puis si tu continues ainsi, tu vas finir par m’épuiser, geint-il.

J’abaisse le chèche bleuté qui masque ma bouche pour lui dévoiler un sourire espiègle. J’adore taquiner mon compagnon de travail, amant coutumier de mes soirées esseulées, mais surtout fidèle ami. Un violent cahot l’oblige à se concentrer sur sa conduite. Il reprend de sa voix rauque :

— Tu savais que les rares Bédouins à avoir vu cette roche perdue au milieu du désert la considèrent comme maudite ?

— Oui, je suis au courant. Rien d’étonnant. Ces histoires sont monnaie courante chez les peuplades ancestrales. Elles persistent de génération en génération. Et ce depuis l’exploration des pyramides et l’ouverture des tombes des pharaons. Beaucoup de découvertes archéologiques reposent sur l’exploitation de ces mythes anciens. Mais ne dit-on pas que derrière toute légende se cache une part de vérité ?

— Boooouuuh… nous allons bientôt nous confronter aux fantômes d’Iram, ou aux djinns et autres génies des lampes alors !

Deux fossettes narquoises creusent les coins de ma bouche. Je farfouille dans la boîte à gant à la recherche de mon paquet de cigarettes, en glisse une entre mes lèvres sèches. Le frottement de mon pouce sur la roulette du Zippo génère une belle gerbe d’étincelles. J’allume ma drogue quotidienne et tire une profonde bouffée avant d’exhaler la fumée, les yeux fermés.

— Si Iram se trouve réellement sous ces sables brûlants, je suis prête à affronter tous les démons de la création pour être la première à la découvrir !

 

***

 

Mon cœur tambourine. Je ne sais plus quoi penser. La voix de l’être évanescent claironne à nouveau.

— CHOISIS !

Un sanglot se bloque au fond de ma gorge. J’observe Damien s’agiter, indécis, tourner vers moi un visage inquiet, juste avant qu’il ne disparaisse, avalé par une fine gaze bleutée, me laissant désespérément seule. Il a fait son choix.

Quant à moi, dois-je continuer d’arpenter les terres du rêve, au risque d’atteindre ses rives extrêmes et basculer dans le cauchemar ? À moins que tout ceci ne soit qu’un voile de fausseté apposé sur la trame des réalités, un mensonge éhonté ?

Oh, Damien, tendre ami à qui je n’ai jamais eu le courage d’avouer mon amour, j’ai tant besoin de toi en cet instant !

Mais tu n’es plus là, ton absence renforce mes peurs et je dois remonter en solitaire le fil du temps, renouer avec les éléments d’une journée si bien commencée pour décider en mon âme et conscience. Les images de l’étrange cité vacillent, son gardien intangible devient flou. Je ferme les yeux et replonge dans le passé, juste quelques heures auparavant.

Je nous revois pénétrer dans la grotte à la base du Croc de Sheitan. Quel magnifique enthousiasme nous habitait à ce moment-là ! 

À l’intérieur de l’immense cavité de gré et de gypse, la lumière s’estompait au bas d’une longue pente sableuse. Au fond, la coulée rouge remontait jusqu’au plafond rocailleux. Et là, révélée par le faisceau de nos lampes devenues nécessaires, se profilait une petite masse de métal noyée dans les grains ocre. 

Un intense labeur nous permit d’en dégager une spirale rouillée, vraisemblablement une porte, ou un sas.

L’étude attentive de sa surface montra un jeu complexe de barres mobiles, un mécanisme d’ouverture que Damien parvint à actionner après un certain temps de réflexion. Derrière se cachait un boyau circulaire, parfaitement lisse, qui plongeait dans les profondeurs obscures. L’incrédulité n’empêchait pas nos yeux de pétiller de joie. La structure décelée par le LiDAR n’était pas une ville engloutie sous les sables, mais une trouvaille bien plus incroyable : une construction d’origine inconnue. 

Malgré nos craintes, une excitation commune accompagnait chacun de nos pas. Nos esprits bouillonnaient, obnubilés par la portée de notre découverte. Sans rencontrer âme qui vive, nous arpentâmes les corridors d’un étrange couloir en colimaçon qui nous rapprochait inexorablement du point central. 

Debout sur une coursive qui traversait une grande sphère creuse, nos faisceaux balayèrent les courbures qui s’élevaient à une vingtaine de mètres au-dessus, et plongeaient d’autant en dessous. Les rayons lumineux de nos lampes redescendirent vers la plateforme.

Et je poussais un cri à la vue des quatre cadavres momifiés.

Une fois remise de mes émotions, la curiosité scientifique de l’anthropologue m’incita à me rapprocher. Je fus immédiatement frappée par leur posture. Ils semblaient tous à leur façon… prier, comme si la mort les avait surpris en pleine dévotion. Mais ce qui me choqua le plus, c’était les restes de leur tenue vestimentaire. Elles n’appartenaient pas à la même époque ! L’un portait un simple pagne, l’autre une cuirasse grecque, un troisième une armure à plaque de chevalier et le dernier un burnous de nomade du désert.

Un bruit soudain me fit sursauter. Des pignons grinçaient, des engrenages cliquetèrent, toute une délicate machinerie prenait vie. Damien releva sa lampe qui peinait à percer l’obscurité. Je joignis mon arc lumineux au sien… et découvrais avec stupeur la myriade d’alvéoles hexagonales qui parsemait la structure commencer à pivoter, à changer de position, tourner sur elles-mêmes pour se réorganiser en un étrange jeu de construction.

Des étincelles crépitèrent alors que la sphère entrait en rotation aléatoire. Chacune de ses oscillations se nimbait d’une brume éthérée où dansaient des lucioles multicolores. L’air se chargea d’un parfum subtil, entêtant, envoutant.

— Recule, me souffla Damien en entamant un pas en arrière.

Incapable du moindre mouvement, mes pieds restaient rivés au sol. Mon absence de réaction l’incita à se porter vivement à mon côté, à prendre ma main, mais il était maintenant trop tard.

La vitesse de la sphère accéléra, gagnée d’une folie chaotique, rendant toute fuite impossible. Nous nous trouvions isolés sur la plateforme centrale, entourés d’éclairs au sein d’une boule lumineuse bleutée en contraction.

Sans le savoir, nous venions d’activer par notre intrusion les rouages d’une incroyable mécanique bâtie par une civilisation inconnue, oubliée dans nos mythes les plus lointains.

Le voile des réalités se fractura.

Sous mes yeux écarquillés se dévoilaient les contours brumeux d’un ailleurs couronné d’un ciel d’azur profond où brillait un soleil éclatant, une large esplanade de sable blond entourée de neuf tours métalliques…