Le livre dont vous êtes le..., par MadBlackHands

Leyla l’entendait. D’abord de façon diffuse, comme s’il s’agissait de la bande-son de son rêve, puis, petit à petit, de manière bien trop insistant…




Chapitre 2: … le moteur de ..., par Wargen

-Dis, on se reverra bientôt ?
 
Elle le regardait, les yeux pétillants, pleins d'une espérance naïve.
 
-Bien sûr bébé. J'ai bien noté où crèchent tes parents. » Il tapota la poche de son blouson en cuir dans lequel il avait rangé le bout de papier. « Maintenant, file, avant qu'ils se posent des questions.
 
-Je t'...
 
Il l'empoigna brusquement, l'embrassa sauvagement. Puis, la tourna et la fit s'avancer vers la sortie du bar en la poussant par les fesses. Après un petit coucou de la main, elle se dandina légèrement, rêveuse, pendant qu'elle s'éloignait sur le trottoir. A la fenêtre du bar, il matait impudiquement la jupe qui dansait en s'éloignant devant lui.
 
-Dis, Lulu, t'en a pas marre de prendre mon rade pour un baisodrome ?
 
Il se tourna vers le barman qui venait de l’interpeller :
 
-Attends, Gégé, tu va pas faire ton rabat-joie, c'est toi qui a la primauté des rencards, et j'te rappelle qu'on consomme bien. » Il pointa tous les verres sur la table qu'ils avaient occupés. « Si tu veux, j'ramène les prochaines au zinc de l'Avenir.
 
-Ah ça va, t'es susceptible, mon p'tit Lulu. Je devrais te faire payer la mousse plus chère. La taxe de nettoyage des chiottes !
 
Quelques rires grinçant alentours.
 
-On y a été soft, c'te fois-ci. C'te poulette, c'est une une petite bourge un peu coincée qui veut jouer aux dévergondées. Elle était pas prête pour le grand jeu.
 
-Dis, Lulu, tu fais d'plus en plus jeune, non ?
 
Lulu se tourna vers le gros homme éméché qui venait de parler.
 
-Elle m'a dit qu'elle avait 17. J'suis pas allé vérifier ses papiers. Moi, tu sais, quand une minette me reluque sur ma grosse cylindrée, j'ai bien envie d'lui montrer ma deuxième grosse cylindrée. Et j'pense pas à vérifier son âge quand j'vais la brancher.
 
-Bah, d't'façon, tu vas pas allé la r'voir...
 
-Tu commences à m'connaitre, mon gros Marcel. » répondit Lulu en lui décochant un clin d’œil. « Gégé, r'ssers moi une mousse s'te plaît !
 
Le barman, en train d'essuyer un verre, le regarda et lui fit un clin d’œil :
 
-Oui, monsieur Harlucien Durandson.
 
-Arrête avec ça, t'sais bien que j'roule avec une vrai bécane, moi ! Les anglaises, c'est les seules qu'on peut appeler des motos. Pas comme les américaines ou ces trucs de bridés qu'on commence à voir de partout.
 
Il inséra une pièce dans le juke-box, et lança L'Idole des jeunes de Johnny Hallyday.
 
-Tu sais quoi, Gégé ? J'ai la même bécane que celle qu'a Johnny. Donc s'il a lui une Triumph, c'est que tes Harley, c'est d'la merde et tu peux t'les carrer là où j'pense.
 
-Tsst, p'tit merdeux, tu sais bien qu'il change de moto comme de chemise, ton Idole des jeunes. Aller, bois ta bière et tais-toi, qu'on profite de ta chanson.
 
-Arrête ton char, papi.
 
Lucien vida son verre d'une traite et indiqua la cabine téléphonique :
 
-Elle marche encore, ta cabine ?
 
-J'le veux mon n'veu !
 
Lucien posa un billet de 10 sur le comptoir et se dirigea vers le téléphone au fond du couloir. Il inséra des pièces, tourna le cadran plusieurs fois, et attendit.
 
-Ouai, c'est qui ?
 
-Salut Momo, c'est Lulu.
 
-Ouai, salut Lulu, comment ça va ?
 
-J't'appelle du Six Roses.
 
-Elle était bien ?
 
-Bof. Coincée. Et j'crois qu'elle est amoureuse, c'te conne !
 
-Pff, t'es un vrai queutard sans cervelle, Lulu.
 
-Laisse béton, c'est plus fort que moi. Dis, j'passais en moto et j't'ai croisé l'aut' jour en charmante compagnie, avenue de la République. C'est ta copine ?
 
-Quand ça ?
 
-Samedi dernier, 16h.
 
-Lulu, c'est ma p'tite sœur. Pas touche. Sauf si tu veux la marier. Tu sais, chez nous, on est très réglo sur ces questions là, et mes parents, jamais ils se détourneront de la religion.
 
-Arrête t'sais bien qu'c'est pas pour moi. Dommage, elle est canon...
 
-Lulu ? Stop ton char. La Fatima, tu touches pas. Même moi qui ne suis pas dans l'Islam, j'te laisserais pas faire. Ghayr mukhlis !
 
-Ça va, tout doux, t'excite pas !
 
-Bon, pourquoi tu m'appelles ? Pas pour me demander la main d'ma sœur, j'imagine ?
 
-J'voulais savoir si tu avais reçu de la marchandise. Y a un regroupement square Sarah Bernhardt ce soir. Les Chats Sauvages font un concert Place de la Nation, et on veut aller donner une leçon à leurs fans pour leur montrer c'que c'est, des vrais rockers.
 
-J'ai de la marie-jeanne, de la blanche et quelques trucs chimiques que j'ai jamais encore vu testés. Blousons noirs, chaînes et crans d'arrêt ce soir ?
 
-Ouai. On va leur montrer que les seuls rockers en France, c'est Johnny et Eddy. T'es chaud ?
 
-OK. J'ramène ma marchandise.
 
-Ton engin est réparé, ou j'te prends ?
 
-C'est bon, j'lai retapée aujourd'hui.
 
-D'acc. J'passe chez toi pour... » Lucien retroussa sa manche et regarda sa montre « ...19h30, et on y va fissa. A toute.
 
-A toute.
 
Il raccrocha, alla pisser, puis passa devant le comptoir en lâchant un :
 
-A plus, les gonz'. La prochaine fois, j'vous ramène un p'tit cul d'blonde ou j'paye ma tournée, foi d'Lulu !
 
Quelques rires gras. Le barman le regarda :
 
-Essaye de pas faire trop d'bruit.
 
Arrivé à la porte, Lucien se tourna et dévisagea la salle :
 
-Au démarrage de la moto ou dans les chiottes ?
 
Il se retourna sans attendre la réponse ni entendre les nouveaux rires gras. Il enfourcha sa Triumph 650 Thunderbird 6T garée sur le trottoirs devant le bar, passa une main dans ses cheveux en bataille, lança le moteur d'un kick brutal mais précis, envoya deux coups d'accélérateur dans le vide pour faire pétarader le moteur et emmerder les voisins, puis s’inséra sur la route.
 
Il arriva quinze minutes plus tard en bas du HLM flambant neuf d’Aubervilliers où avait emménagé Mohamed et sa famille il y avait seulement quelques semaines. Il regarda sa montre : 19h15. Il savait que Momo aurait au moins 15 minutes de retard, horaires sudistes obliges. Il regarda autour de lui : personne qu'il ne connaissait. Il sortit alors un livre d'une poche intérieure de sa veste en cuir. Les Aventures d'Alice au pays des merveilles. Il l'ouvrit au marque page et recommença sa lecture. Là où Alice s'engageait dans une drôle de « course saugrenue ».
 
Même s'il ne se faisait pas trop de soucis ici et que Momo était dans la confidence, Lucien ne voulait pas que le reste du groupe de bikers sache qu'il lisait des livres. Pour qui, pour quoi passerait-il alors ! Un biker rocker qui lisait, dans quel monde vivrions-nous !
 
Bien installé sur sa moto encore allumée et vibrant légèrement, il fit défiler les lettres, les mots et les phrases devant ses yeux. « Un p'tit cul d'blonde ». Il avait vu le dessin animée Alice au pays des merveilles de Disney au cinéma. Ça restait du dessin animé, et l'éloignait de la vision qu'il avait d'Alice en lisant le livre, mais il se fit la réflexion que ça serait pas mal, comme pt'tit cul d'blonde à ramener pour la prochaine fois.
 
Les lignes dansaient devant ses yeux. Il fatiguait un peu. Il regarda sa montre : 19h45. Momo ne devrait pas trop tarder. Il se replongea dans la lecture. Les lignes formaient des vagues devant ses yeux. Il avait du mal à se concentrer. Le sens du texte avait du mal à s'imprimer dans son esprit, il devait s'y reprendre à deux ou trois relectures pour comprendre le sens d'une phrase.
 
Les lignes formaient maintenant une spirale infinie plongeant vers le centre de la page. Les lettres, d'abord minuscules, tournaient, remontaient en spirale du centre et grandissaient pour devenir lisibles, puis s'évaporaient pour laisser la place aux suivantes. Lucien se sentait nauséeux et avait le mal de mer. Mais il n'arrivait pas à décoller les yeux de cette page et cette spirale hypnotisante. Il ressentait qu'autour de lui, tout était devenu noir, mais son regard était happé, bloqué, sur la page dansante devant lui.
 
Un bruit de réveil strident le fit sursauter. Par réflexe, il donna un coup d'accélérateur. Et se sentit projeté en avant. Mais il se sentit avancer seul, sans cette grosse machine vibrante entre ses jambes. Et il vit au dernier moment l'énorme tronc sombre sur lequel il vint s'écraser.
 
Il avait mal. Un peu partout. Au visage, qui s'était griffé sur l'écorce de l'arbre. Aux cotes, qui avaient absorbées le plus fort de l'impact du corps contre l'arbre. Aux jambes, qui le grattaient à cause du jeans humide et de la pelouse piquante sur laquelle il était allongé sur le dos. Il ouvrit les yeux. Sa vue tournoyante donnait sur une canopée sombre et un ciel tirant sur le violet. Son ouïe lui faisant entendre des sons sinusoïdaux, comme si une phrase était prononcée, dont il ne comprenait qu'un mot sur trois.
 
Il attendit ainsi quelques minutes. Les sens semblaient maintenant revenir à la normale. C'est alors qu'il vit apparaître dans son champ de vision, venant remplacer le ciel violet sombre, une belle jeune fille blonde en robe de soirée bleue. Un large sourire aux lèvres, elle annonça, d'une voie fluette :
 
-Et voici votre écuyer, Marcheuse de Livre ! Monsieur le Chapelier, tout le monde est-il maintenant présent ?




...nos émotions..., par MadBlackHands

Le type débarquait bel et bien de nulle part, Leyla n’aurait même pas su dire s’il tombait du ciel ou s’il venait tout juste d’apparaître entre les brins d&…