La perle d'Hématite est un artéfacte discret qui a vécu de nombreuses aventures. On lui lie des pouvoirs fabuleux même si personne ne s'accorde sur le type de magie. Pourta…
Pressée au milieu de la cohue en pleine effervescence, Édite se tordait les doigts, sans doute aussi nerveuse que les autres, si pas plus encore.
Son destin allait changer et, de ce changement, celui du pays également.
Elle se savait présomptueuse, mais ne serait-ce pas pire encore de feindre l'humilité alors qu’elle se savait considérée comme un prodige, de ceux que l’on ne croise qu’une fois par siècle, dans la Gouvernerie ?
Ses professeurs le disaient, « Ça ne peut pas être une coïncidence, un talent pareil alors que le Roi est sur le point de s’éteindre » ; « Je vois déjà la couronne sur sa tête » ; « Édite Éru est l’espoir de la nation » ; « Un trésor d’intelligence ».
On disait même qu’elle parlait et marchait avant tous les enfants de la Gouvernerie.
Les chiffres parlaient. Histoire, géographie, arithmétiques, science, biologie, écriture, lecture, philosophie elle avait toujours surclassé tous ses camarades.
Le teste de succession n’était qu’un teste parmi tant d’autres, pourquoi échouerait-elle ?
— Ça va ?
Anti posait un regard appuyé sur elle.
— Bien sûr, rétorqua Édite. Pourquoi ça n’irait pas.
— Bah, justement je me le demande. Tout le monde sait que c’est toi qui vas être choisie.
Il le disait sans arrière-pensée à en témoigner par son éternel sourire benêt.
— Mais t’as l’air toute tendue, on dirait que tu vas casser tes doigts.
Sa paume était chaude tandis qu’il s’emparait des mains crispées de sa camarade.
— Encore que, ça doit pas être facile d’être Reine… peut-être que tu n’en as pas envie et que t’as peur, justement ?
— Réfléchis un peu. Si je ne voulais pas, je me serais sabotée et alors je n’aurais rien à espérer.
— Ah ouais pas bête.
Il lâcha un petit rire gêné.
— Moi ça m’intéresse pas vraiment. Je vois même pas pourquoi on est obligés de faire le test.
— C’est notre devoir de citoyen. Quand le monarque meurt, les jeunes de vingt ans passent le teste de succession…
— Non mais, quand même, je sais ça. C’est juste que j’ai pas envie d’être Roi, moi…
— Estime-toi heureux alors, seul le meilleur sera élu, trancha Édite, fort peu intéressée par ses états d’âme. Et il y a peu de chances que…
La voix d’Édite s’étrangla lorsque les battants de la lourde porte en bois s’ouvrirent sur le Directeur de la Gouvernerie.
— Pendant vingt ans vous avez grandi entre ces murs et aujourd’hui nous allons vous voir prendre votre envol dans le ciel du monde des adultes…
Que les autres deviennent boulanger, facteur ou instituteur Édite n’en n’avait rien à faire. Qu’il en vienne aux faits !
— … Mais en cette période de deuil, alors que nous perdons notre Roi bienaimé ce sera à l’un d’entre vous qu’incombera la lourde tâche de prendre sa succession….
La poitrine d'Édite vibrait, elle l'entendait déjà dire...
-… Anti Sue.
⁂
— Mais… c’est pas possible, ça ne peut pas être moi…
C’était la dixième fois qu’il se répétait mais le dos du Directeur n’était pas disposé à l’écouter. Pas plus que les deux gardes qui l’encadraient, comme si on avait peur qu’il s’échappe.
Aucune de ces personnes ne connaissait l’enfant qu’il avait été, l’adolescent qu’il avait été, le jeune homme qu’il devenait. Aucune de ces personnes ne semblait réaliser à quel point il n’était pas qualifié, sans doute pas plus que ceux qui se prétendaient capables de gouverner, juste avant l’effondrement de la démocratie, à l’époque où l’on ne votait plus pour soutenir un parti mais pour éloigner ceux que l’on craignait du pouvoir. Aucun d’entre eux ne réalisait l’erreur qu’ils étaient en train de faire.
Le trio mena le jeune homme jusqu’à une petite pièce circulaire. Les deux gardes s’arrêtèrent au seuil, pour garder la porte qui se fermait dans un long grincement dans le dos d’Anti.
Il était acculé entre la porte close et le Directeur.
Entre eux, au centre de la pièce, au cœur d’une mosaïque formant un motif floral, une table ronde à un pied surmontée d’un coussin molletonné sur lequel reposait une couronne, un cercle blanc dans lequel jurait la perle à l’éclat métallique qui y était incrustée.
— Je suis désolé, répéta Anti. Il doit vraiment y avoir une erreur.
— Absolument pas, répondit le Directeur qui n’avait pas dit un mot depuis qu’il avait prononcé son nom dans la cour. Écoute la perle.
— Mais je peux pas régner comme ça. Enfin, je sais que c’est le principe, mais… bah je suis pas très intelligent, moi.
— Nous n’attendons pas que tu sois intelligent. Écoute la perle.
— Mais demandez aux instituteurs, ils vous diront que je suis pas doué pour réfléchir aux trucs compliqués.
— Tu n’auras pas à réfléchir. Écoute la perle.
— Je veux pas.
— Écoute la perle.
— J’ai dit non.
— Écoute la perle.
Anti soupira, admettant qu’il pourrait au moins essayer, plus pour faire plaisir à son interlocuteur et lui prouver qu’il n’y avait rien à tirer de lui que par subite soif de pouvoir.
La couronne était lourde et froide. Si froide qu’un frisson ondoya du bout de ses doigts jusqu’à la racine de ses cheveux en passant par ses poignets, ses coudes, ses épaules et sa nuque.
Tu n’as pas à réfléchir.
Tu n’as pas à être intelligent.
Écoute-moi.
Laisse-toi faire.