Ches’ se déplaçait lentement autour de la scène de crime. Je le regardais s’avancer entre les cadavres et les comptais par la même occasion. Dix cadavres en tou…
— Et donc ? Qu’est-ce que tu peux nous dire sur cette « mise en scène » ?
— Que c’est une parodie des dix commandements de la Bible. Pas tellement pour affirmer une conviction religieuse, mais plus pour se faire remarquer
Pour qu’on le remarque, plus exactement.
— Et se complaire dans sa monstruosité… soupira l’inspecteur avant de sortir un briquet.
— Il y en a qui sont assez évidents, exposai-je. Par exemple, le premier commandement « Tu n’auras d’autres dieu que moi ». La victime a un pentagramme inversé taillé sur la poitrine.
Autrement dit, un symbole satanique.
— Le second commandement, « Tu ne feras aucune idole, aucune image de ce qui est là-haut dans les cieux, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux par-dessous la terre. »…
Les omoplates et les côtes du cadavre étaient dissociées de la colonne vertébrale, singeant une paire d’ailes. Sur place, j’avais entendu un agent du Département mentionner « l’aigle de sang », une torture norroise. Cependant, les mains de la victime étaient jointes entre elles au fil de fer, comme une position de prière.
— … Il imite un ange.
L’inspecteur pinça une cigarette entre ses lèvres tandis que je retenais les miennes de trembler en poursuivant mon analyse :
— Le troisième commandement « Tu n’invoqueras pas le nom du Seigneur ton Dieu pour le mal », la victime a la langue tranchée. La mutilation du quatrième corps ne semble pas directement liée au commandement associé, « Tu feras du sabbat un mémorial, un jour sacré ». Je peux dire la même chose du sixième « Tu ne commettras pas de meurtre ». L’identification des corps nous en dira plus, mais je pense que la symbolique est liée à ce qu’ils ont représenté de leur vivant plutôt qu’à… ce que le démon en a fait.
Mon doigt glissa sur la tablette, exposant la photo du cinquième corps qui illustrait mon propos.
« Honore ton père et ta mère ».
Un enfant, quinze ans grand maximum.
— Le septième commandement « Tu ne commettras pas d’adultère », dis-je en indiquant la photo concernée.
Une jeune femme à la mâchoire disloquée. À l’intérieur, les organes génitaux prélevés des corps un, deux et quatre.
Mon ventre se tordit en imaginant ce que l’autopsie révélerait quant aux supplices que cette fille avait endurés, car les marque de dents autour de ses mamelons suggérait clairement qu’il ne s’était pas contenté de mettre fin à ses jours.
— Pour le suivant c’est, « Tu ne commettras pas de vol », et…
La victime avait été démembrée et éventrée. Dans son abdomen béant étaient entassés des mains et des pieds amputés des corps cinq et six.
— Pour le neuvième c’est « Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain ».
La victime avait été empalée par deux pieux.
— Croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer, grommela le vieux en soufflant un jet de fumée. Mais j’aimerais comprendre un truc, comment tu fais pour savoir quel corps correspond à quel commandement ?
— Le nombre de doigts qui leur reste.
L’inspecteur tira une nouvelle bouffée de cigarette.
— Le dixième corps est le moins amoché. Le démon veut qu’il soit facilement reconnaissable.
Et il l’était.
— « Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain ; tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne : rien de ce qui lui appartient. »
Il s’appelait Sylvain et avait à peu près mon âge.
Il m’avait accompagnée le mois dernier dans une affaire, car on ne peut pas laisser une recrue, sa formation à peine terminée, seule sur le terrain avec son premier démon.
La pièce se remplissait et se vidait alternativement, la danse macabre de draps se soulevant et s'abaissant sur des visages rapiécés laissait aux spectateurs un goût amer e…