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« Votre cible se trouve à l’ouest des plaines du Gras Gosier. Il vous suffira de suivre l'ancienne rivière des Gardons, et vous serez à l'entrée de leur territoire en une journée à cheval. Mais vous devrez faire preuve de vigilance... L'objectif est particulièrement bien gardé. Ils connaissent la valeur d'une telle marchandise et sont prêts à tout pour garder la main dessus... Évidemment, je compte sur votre discrétion. Mes concitoyens ont les nerfs rongés depuis les dernières pertes que nous avons essuyées dans cette affaire et je... »
Alphonse Le Dodu, maire de Triste Vallon, cherche à sauver les apparences avec son choix de mots polis, pour ne pas dire que les villageois sont prêts à l’exécuter sur la place publique s’il ne cesse pas de les envoyer à l’abattoir pour tenter de récupérer ce foutu bétail.
Il s’entraîne, répète son discours pour son public. Il me donne l'impression d'être figé dans une autre époque, celle de l'ancienne modernité et des belles lois à respecter, oubliant que la grande majorité de nos semblables d'aujourd'hui sont prêts à toutes les bassesses pour survivre. Cette dorure politique est une relique qui n'intéresse que lui, et je finis par lui signifier mon impatience afin qu'il cesse de cracher cette pluie de mots dans le vide. Pas besoin de tant d'enjolivures, je ne suis qu'un Mercenaire, après tout.
« Combien sont-ils en face ? »
Le maire mâche ses mots et son regard traîne un peu derrière moi. Il guette Pierrot qui le trouble. Il fait toujours son petit effet. Ce n'est pas courant pour un ogre de sa stature d'être si docile. Nous sommes dans une bâtisse fermée depuis quinze minutes et il n'a pas commis le moindre dégât.
« Pas d’inquiétude, c’est un benêt comme tous les autres, mais j’ai quelques atouts dans ma manche pour l’apprivoiser. »
J’imagine que les petits-bourgeois de son espèce sont plus à l’aise quand ils restent cloîtrés dans les champs à travailler, là où se trouve leur place de monstruosité de l’évolution. Qui aurait pu croire que les retombées de la grande catastrophe nous replongeraient au temps de l'esclavage ?
De son côté, l’œil vague, Pierrot observe l’aquarium verdâtre à l’entrée du bureau. Un cimetière marin où seuls les plus microscopiques créatures parviennent encore à survivre dans ce marasme aride d’oxygène.
« La dernière éclaireuse revenue n’a pas su nous donner de chiffre exact. Elle tremblait et continuait de délirer plusieurs heures après son retour. Mais les informations saisies entre les crises laissent entendre qu’il y a une diminution de leurs effectifs depuis quelques semaines. Cela expliquerait pourquoi ils ne nous ont pas envoyé d’escouade pour riposter en dépit de nos intrusions répétées. Nous pensons également que d’autres bourgades sont sur le coup ce qui a dû amoindrir leurs forces à la longue… Une dizaine… Du moins, nous l’espérons. »
« Alors pourquoi faire appel à moi pour un tel travail ? Pourquoi ne pas vous allier aux communautés environnantes ? »
« La diplomatie n’est plus le fort des dirigeants depuis bien longtemps. J’ai bien tenté de parlementer avec certains chefs, mais l’appât du gain leur retire toute réflexion tactique… »
Alphonse ment, aucun doute. Il cherche à camoufler la misère de sa situation. J’ai fait route depuis le nord et j’ai constaté l’ampleur des dégâts. Les champs sont rouge sang avec ce soleil qui fait fondre le paysage, et la pluie brûlante qui s’abat en rafales à répétition depuis une semaine a dû annihiler leurs récoltes. On peut entendre le sol se fissurer et expirer la poussière après chaque pas.
La plupart des villages doivent traverser la même situation, et garder le contrôle sur la population doit être de plus en plus ardu. Celui qui raflera la mise dans cette histoire gagnera un avantage stratégique sans équivoque sur le territoire, s’il n’est pas visé par une coalition qui anéantira la totalité de ses habitants avant. De la prudence est nécessaire pour ne rien laisser transparaître, une aubaine pour Triste Vallon que je passais dans le coin.
« De quelle quantité parle-t-on concernant le troupeau ? »
« Une trentaine de têtes… Au moins. »
J’arque le sourcil, malgré moi, mais tâche de rester impassible. Les questions se bousculent sur mes lèvres :
« Et cette exploitation existe depuis seulement deux mois ? Comment expliquez-vous autant d’ogres en si peu de temps ? Et qu’une si petite équipe soit capable de les garder dans leurs enclos ? Je ne vous parle même pas de la quantité de nourriture pour les conserver en bonne santé… Avez-vous une idée de leur projet ? »
Alphonse fait mine de réfléchir et s’éponge le visage. Il ne semble pas vraiment supporter les quarante-deux degrés actuels qui lui cuisent les neurones.
« Lever une armée ? »
Je réfléchis à l’hypothèse puis l’évacue bien vite.
« Trop dangereux avec le risque d’une rébellion s’ils leur fournissent des armes. Et la première ville qui pourrait être intéressée se trouve à des centaines de kilomètres… Or, un seul d’entre eux nécessite déjà beaucoup de vigilance. L’écart de force est trop important pour être pris à la légère. »
Le regard du maire ricoche sur Pierrot qui continue de rêvasser, l’œil rivé sur un goujon mort qui se fait ronger par ses chétifs colocataires aux nageoires frétillantes. Cette simple remarque a fait grimper son niveau de tension, sa main tapote nerveusement sur le bureau.
« Malheureusement, nous n’en savons pas plus. Ils ont des fusils, c’est une certitude, ce qui doit faciliter la sécurisation du périmètre. Mais il m’est impossible de vous donner plus d’informations. Aucun n’est parvenu à s’approcher suffisamment pour savoir ce qui se passe dans leurs ateliers. Mais nous sommes persuadés qu’il y a des Botanistes parmi eux, et nous soupçonnons la présence d’un Chasseur depuis peu. »
« Pour quelle raison ? »
L’attention du maire survole les documents, photos et esquisses en pagaille sur son bureau. Je remarque un cliché particulièrement graphique et comprends le fruit de ses conclusions.
« Les éclaireurs étaient au nombre de quatre lors de la dernière expédition… Seule une est revenue… Sans son œil droit et son bras gauche… À l’apogée de ses divagations, elle ne cessait de parler d’une ombre… D’une ombre avec de longues griffes argentées ».
Une image me revient à cette énonciation. Une réminiscence d’un croquis examiné quelques semaines plus tôt dans la petite ville de Poivré Bleu. Sur un tableau d’affichage, une silhouette avec des lames acérées capable de trancher la chair comme des brins d’herbe. Une merveille d’ingéniosité à partir de métaux rares. Rien que cet outil pourrait rapporter gros. Sans compter la capture de ce Chasseur. Si je fais abstraction du fait que je ne survivrais probablement pas à une confrontation directe. Mon dos pousse une légère plainte me confirmant que l’âge a fait son œuvre. Et pourtant…
« Alors… Est-ce que vous acceptez de nous aider ? »
Et pourtant, je ne peux pas nier que je suis moi-même attiré par l’appât du gain. — Je n’y arriverai pas par mes propres moyens… — Qu’est-ce …