Prologue 17 octobre 2017 Son téléphone ne cesse de vibrer depuis le début de son rendez-vous. Il a compris, c’est pour aujourd’hui. &…
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Margot
17 octobre 2018
6h19. Nuit très compliquée. Aujourd’hui c’est le premier anniversaire de ma Vic alors il faut que je prenne que moi.
Vu l’heure j’ai largement le temps de préparer les affaires à prendre chez mes parents pour la fête.
Comme tous les jeudis je finis mon service à 14h30, ce qui est parfait. Je ne me voyais pas faire midi et soir, comme le reste de la semaine, pour un jour si spécial. Nous allons passer l’après-midi en famille, peut-être que cela me remontera le moral ne serait-ce que quelques heures. Après tout, c’est un jour particulier. Deux événements complètement contradictoires ont eu lieu à cette même date.
Un an.
Ce qui veut dire que 365 jours se sont écoulés.
C’est dingue. Je ne saurai dire si l’année m'a paru plutôt longue ou courte. La plupart du temps j'ai la sensation que ça fait une éternité que Paul n’est plus là, tellement le manque est immense. Les jours sans lui sont rudement longs.
Et d’autres fois, il m’arrive encore de ressentir la chaleur de ses lèvres chaudes s'attardant sur ma tempe, ce matin-là, juste avant qu'il ne me quitte pour aller à son cabinet. Si j'avais su que c’était notre dernier instant ensemble…
Je ne sais pas combien de temps dure un deuil. Il est la première personne que j’ai perdu dans ma vie. J'ai la chance d'avoir encore mes parents, mes grands-parents, mes oncles et mes tantes. Alors comment est-ce que l’on remonte la pente ? Combien de temps est-ce que cela va encore durer ?
Il me manque tellement.
J’aimerais cesser de pleurer constamment à chaque fois que Victoire me fait une nouvelle mimique, à chaque nouvelle dent, à chaque nouveau mot, à toutes ces nouvelles choses que Paul ne verra jamais. Ainsi que toutes les fêtes d’anniversaires, les Noëls et autres événements que l’on fêtera sans lui.
Il n’aura même pas rencontré son enfant, lui qui avait si hâte d’être père.
Je dois me ressaisir, je le sais, mais il y a cette douleur au fond de mon cœur qui m’empêche d’avancer. Cette sensation de vide à chaque fois que je me réveille le matin, seule, dans mon lit. Quand je vais me coucher, seule, encore une fois.
Puis le sourire de mon enfant qui me ramène sur terre, qui me rappelle pourquoi je vie encore, cette petite douceur aux cheveux noirs et au regard noisette. Les yeux de son papa. Je le vois à travers Victoire ; et je la trouve encore plus magnifique.
J’ai juste eu le temps de me préparer quand mon bébé se réveille enfin. J’ai enfilé un jean skinny noir, un t-shirt blanc simple et ma veste blazer verte. Au moins je n’aurai pas à repasser par la maison me changer après le boulot. Pour la coiffure, étant donné que je dois garder les cheveux attachés pendant le service j’opte pour un chignon tressé en laissant deux petites mèches devant. Question maquillage, ça va être rapide. Un peu de mascara pour mettre mes longs cils en valeur et ça suffira — waterproof évidemment…
Quand je rentre dans la chambre de Victoire elle est là debout à m’attendre avec son sourire de coquine. Si belle.
—Joyeux anniversaire mon ange, lui dis-je en la prenant contre moi.
Je la garde comme ça près de moi encore quelques secondes et hume son odeur de bébé que j’aime tant.
Un an.
Tu grandis si vite ma fille. Ton père serait fou de toi.
Je dépose Victoire chez mes parents vers 11h puis l’embrasse une dernière fois avant de partir pour le travail. J’ai la chance d’avoir tout à proximité de chez moi : le restaurant, mes parents, un supermarché, le centre-ville où un nouveau bar/hôtel que j’ai repéré ne devrait pas tarder à ouvrir. J’irai sûrement y faire un petit tour quand Louise sera de retour.
Louise, c'est mon amie d’enfance. Une petite tornade brune à la peau chocolat au lait. On se connait depuis la maternelle. Ayant été adoptée par un couple blanc, elle a été victime de moqueries pendant plusieurs mois, jusqu’au jour où elle a collé son poing dans la figure d’un garçon qui faisait une tête de plus qu’elle, et au moins deux fois son poids ! J’étais impressionnée ! Depuis elle ne se laisse plus marcher sur les pieds. Une vraie dur à cuire. C’est une femme pleine de vie que j’admire énormément.
Elle est partie il y a à peu près deux ans, rejoindre ce qu’elle appelait l’amour de sa vie il y a encore quelques jours. Aujourd’hui c’est plutôt « l’autre trou d’uc » ou quelque chose comme ça.
En tout cas, ce qui est sûr, c’est que la revoir me fera le plus grand bien.
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Comme toujours je suis la première à arriver aux vestiaires. Je déteste être en retard et encore moins attendre quelqu’un en retard. Autant ne pas se rajouter de stress supplémentaire.
— Bonjour ma Gogo, me susurre une voix.
Lorenzo.
— Nouveau jean ? Il te va parfaitement bien, poursuit-il de son ton qui se veut charmeur.
Il pose ses mains dégoûtantes sur ma taille que je m’empresse de dégager.
— Fou moi la paix Lorenzo, je n’suis pas d’humeur, je réponds les dents serrées.
— Ouh mademoiselle Adam s’est levée du mauvais pied ce matin ! Si tu veux un conseil, essaie d’être un peu plus sympa si tu ne souhaites pas faire d’heures sup’ aujourd’hui. Ça serait dommage de rater le premier anniversaire de la petite Victoire, non ? D’ailleurs, je suis triste je n’ai pas reçu d’invitation, snif, exagère-t-il.
— On n'invite pas n’importe qui, je réponds durement en tournant les talons.
J’entends un vague « tant pis » quand je quitte le vestiaire. Pervers !
Le temps passe au ralenti jusqu’à 14h30. Je n’ai fait que de penser à Paul. Impossible d’être concentrée à 100% aujourd’hui, mais j’ai fait au mieux pour ne pas avoir affaire à mon cher supérieur.
L’année dernière à cette heure-ci, Paul était encore en vie. Tout était encore parfait et nous étions les plus heureux du monde.
Ma poitrine se serre à cette pensée. C’est si dur, j’ai si mal au fond de moi. Je n’en peux plus de combattre cette tristesse, j’ai besoin de lâcher prise.
D’un pas rapide je fonce dans les toilettes avant d’éclater en sanglots. Je me laisse aller et pleure toutes les larmes de mon corps, de mon cœur.
— Margot, ma grande, tout va bien ?
Je reconnais la voix d’Aline, l’employée d’entretien. Une femme adorable qui écoute mes pleurnicheries depuis des mois maintenant. Un amour. Dès mon premier jour au restaurant, elle venue vers moi, m’a soutenue et épaulée tout au long de cette triste année.
Tout le monde respecte cette femme, elle est si adorable, si douce. Certains vont voir des psychologues quand ça ne va pas, moi je vais voir Aline. Et je parie que je ne suis pas la seule à lui raconter ma vie.
— Oui, ça va aller, merci Aline…
Je me ressaisie, et après bonnes inspirations et expirations je prends deux feuilles de papier toilette et me mouche un coup. Je reprends deux feuilles et essuie le tour de mes yeux.
Quand je sors je tombe sur le regard compatissant de la quinquagénaire :
— C’est aujourd’hui c’est ça ? Me dit-elle doucement.
— Oui…
Elle s’approche et me serre dans ses bras d’une fermeté rassurante et chaleureuse. C’est sa façon de me donner de la force pour surmonter cette journée. Ça ne marche pas évidemment, mais ça me calme complètement. Pour le moment.
— Merci, je m’écarte d’elle et compresse sa main, je sens sa peau toute sèche, sûrement dû à tous ces produits qu’elle utilise pour le nettoyage, je suis désolée, je dois y aller.
— Embrasse la petite pour moi.
— Je n’y manquerai pas, à demain Aline.
Le cœur lourd je quitte l’établissement et me dirige directement chez mes parents.