Oyez, oyez, population de The Root Book ! Alors que les fabuleux défis de cette année se clôturent, j’ai mijoté un petit quelque chose… …
Altération 0 —Sidonie
Hiiiiiiiiiiiiiii !
6 h 40
Sidonie abattit une main paresseuse sur son réveil matin dont la sonnerie stridente était particulièrement dissuasive quand il s’agissait de choisir s’il fallait, ou non, végéter dans la chaleur de son lit. La motivation était aux abonnés absents alors qu’elle se traînait hors de ses draps, surtout à l’approche de Noël qui avait perdu toute saveur depuis qu’elle était entrée dans la vie active.
Fini la magie et l’insouciance, bonjour cynisme et dépenses inutiles.
En s’efforçant de voir le verre à moitié plein, elle concédait qu’à partir de Noël les jours devenaient de plus en plus longs.
Aaaah, c’est peut-être bien pour ça que c’est la naissance du petit Jésus.
Forte de cette illumination, elle déambula dans le couloir jusqu’à la chambre de sa fille dont la présence était décelable par une petite touffe de cheveux crépus qui émergeait au milieu d’une literie Reine des neiges.
— Coucou El’... faut se lever.
7 h 05
— Non, mais tu te fous de moi ?!
Dix minutes. Il leur restait dix minutes pour s’habiller, se coiffer, avaler un petit-déjeuner, descendre au rez-de-chaussée, attraper le bus de 7 h 15, et elle était toujours au lit !
7 h 22
— Accroche-toi. El’, je le répèterai pas deux fois, accroche-toi à la barre, je te dis !
Voilà pourquoi Sidonie détestait prendre le métro avec la petite. Ça, et la promiscuité avec la misère citadine.
Le véhicule freina dans un crissement assourdissant.
Eh bah voilà, songea Sidonie en voyant El’ s’écraser sur ses genoux.
Comme elle pouvait passer du rire aux larmes en deux secondes et qu’elle était de nature impressionnable, Sidonie se dépêcha de la relever ne voulant pas que ses pleurs attirent des regards prompts à la critique.
— Maintenant tu te tiens tranquille, gronda-t-elle en attirant sa fille à la barre. On va bientôt repartir.
Deux minutes plus tard et c’était l’inertie la plus totale.
— Pourquoi on redémarre pas ? gémit El’.
Cinq minutes.
Sidonie ressent l’agitation autour d’elle. Probablement quelques personnes qui avaient millimétré leur horaire matinal pour rester un maximum de temps au lit sans se mettre en retard au travail.
Dix minutes.
— Bon, bah, on va arriver en retard à l’école.
Et ça ne serait pas arrivé si tu t’étais levée assez tôt pour qu’on puisse prendre le bus.
Quinze minutes.
« Chers passagers nous devons temporairement faire arrêt en raison de la présence d’un individu sur les rails. Nous tâchons de régler la situation au plus vite, merci de votre patience et de votre compréhension ».
À tous les coups, quelqu’un qui a tenté de se suicider.
9 h 07
Le canapé clic clac du salon grinça lorsque Sidonie s’y affala avec humeur.
La colère n’était toujours pas retombée. Pour qui elle se prend celle-là ? Tout instit’ qu’elle soit, ça semblait évident qu’elle n’avait pas la moindre idée de ce que ça pouvait être de gérer l’éducation d’un enfant vingt-quatre heure sur vingt-quatre. Pas de fin de journée, pas de week-end dans le boulot de maman.
Non ce n’est pas la première fois qu’on arrive en retard, et non ça ne sera pas la dernière.
10 h 00
Encore…
L’horloge du salon était encore détraquée, cette fois bloquée à 6 h 40.
Sidonie devrait songer à s’en débarrasser, ayant déjà échoué à la faire réparer, mais son bois vernis incrusté de moulures rappelant le balancier doré lui donnait l’impression de posséder une antiquité.
Une jolie antiquité, de celles qui ont traversé les âges pour devenir des raretés.
Et ça plaisait à Sidonie de posséder de jolies choses.
12 h 33
Un bébé déguisé en grenouille.
Un bébé assis sur un robot aspirateur.
Une pub pour une application de rencontre.
Sauf qu’on va sur ces trucs pour se caser, pas pour se coltiner un enfant.
Elle scrolla.
Un chat déguisé en grenouille.
« POV : que feriez-vous si vous pouviez recommencer la même journée ? ».
Débile.
Elle scrolla.
Un bébé déguisé en grenouille sur un robot aspirateur.
Une fillette pleurant lorsque sa mère la surprend à mettre du bain moussant dans le lavabo pour ses poupées. Imaginant parfaitement El’ faire ce genre de bêtise, Sidonie se réfugia dans les commentaires « Rien de mieux à faire que de la filmer ? On voit l’utilisation des enfants pour les likes ».
Sidonie soupira.
On voit les rabat-joie.
Mais elle ne pouvait pas lui donner tort.
14 h 13
Sidonie n’était plus sûre ni de quand, ni d’où elle était lorsque son téléphone la réveilla en sursaut.
Déjà l’après-midi et elle n’avait rien fait de la journée. Elle n’avait même pas mangé.
Au pire, moins on mange, moins le vite le frigo se vide, moins vite on fait les courses.
Le téléphone se tut.
Sidonie réalisa que, dans tous les cas, ce serait tout de même mieux de faire les courses aujourd’hui. Le samedi les magasins étaient bondés, toujours plus en décembre et plus encore à l’approche du réveillon.
Ceci dit, elle était invitée ce soir et serait toute seule pendant le week-end…
Le téléphone se manifesta à nouveau, ramenant définitivement Sidonie à la réalité du 22 décembre à 14 h 22.
Le même numéro avait déjà appelé trois fois ; assurément, ce n’était pas de la publicité.
— Oui ? grogna-t-elle d’une voix pâteuse.
14 h 46
— Oui, c’était pour te dire que je ne serais peut-être pas là à 15 heures, l’école vient d’appeler, El’ est malade ; Je sais pas moi, on m’a juste dit qu’elle en avait mis partout, qu’il y a pas l’infirmière et qu’elle a les vêtements plein de vomi ; Attends, t’as dit quoi, là ? ; Répète un peu ! ; ça valait bien la peine de faire des histoires pour l’avoir à Noël si c’est pour me la refourguer à la dernière minute ; Mais je m’en fous que tu ailles skier à Val-je-pète-dans-la-soie, c’est ta fille à toi aussi !
Argument qu’il utilise que quand ça l’arrange, tiens.
15 h 10
— Mais moi je veux pas faire les courses… gémit El’ quand bien même elle venait d’entrer dans le supermarché avec sa mère.
Sidonie pouvait aisément comprendre. En étant malade, personne n’aurait envie de faire les courses.
El’ n’était pas d’un naturel patient, aussi le supermarché était le théâtre de longues promenades frustrantes.
— On pourra te prendre un cadeau cette fois, consentit Sidonie.
— Mais moi je veux rentrer à la maison…
Et je lui explique comment qu’à la base je m’étais fait inviter parce qu’elle devait passer les fêtes avec son père qui a décidé de pas s’encombrer d’elle à la dernière minute ?
— Tu vas pas rester à la maison toute seule.
— Mais siiiiii….
La petite avançait maintenant en faisant claquer ses pieds sur le sol. Détestant qu’elle fasse ça, Sidonie affermit sa prise sur sa main.
— Allez viens
— T’es pas gentille, marmonna El’.
Plus que les mots, caprice d’une fillette fatiguée, c’était l’injustice qui frappa Sidonie en plein cœur au point qu’elle sentit un coup de chaud la saisir.
— Bon, bah tant pis pour le cadeau. Et si tu continues Papa Noël non plus t’offrira rien. Maintenant tu viens, après on rentre et au dodo !
— T’es pas gentille, martela la fillette en tapant du pied. T’es méchante et t’est moche !
— El’… !
Plus que les mots, plus que l’injustice, c’était le ton qui montait qui faisait bouillir la mère célibataire, les mots qui tombaient dans les oreilles des gens, les gens qui les regardaient.
Arrêtez.
Pensaient-ils que la petite fille était malheureuse ?
Arrêtez.
Leur paraissait-elle mal élevée ?
Arrêtez.
La mère avait-elle l’air débordée ?
Arrêtez.
Mauvaise mère.
Arrêtez.
Et où est le père ?
Arrêtez !
Pendant une seconde, une folle seconde, Sidonie se vit gifler sa fille.
Arrête.
Canalisant la chaleur qui lui montait à la tête, Sidonie saisit sa fille par les épaules, lui sommant d’attendre sur place, sous l’œil des caissières.
15 h 52
Sidonie se réjouissait d’avoir rempli son cadi avant que les rayons soient bondés de monde. Elle avait fait au plus vite pour que El’ n’attende pas trop longtemps.
El’ n’était plus là où elle l’avait laissée.
16 h 15
El’ était impatiente mais sa mémoire épatait sa mère bien plus de fois qu’elle se l’admettait.
Aussi, Sidonie venait de traverser le rayon des livres et papeterie, des céréales, des goûter et se dirigeait maintenant d’un pas pressé vers celui des bonbons.
16 h 23
Mais qu’est-ce que je fous ?
Là, dehors, avec ses deux sacs de courses ?
La caissière lui avait dit avoir vu El’, une petite fille en doudoune rose, sortir avec un autre enfant.
En bafouillant, Sidonie avait payé et emporté ses articles dans un empressement confus, affirmant qu’elle se débrouillerait toute seule.
Toutefois, dehors sur le parking, seule avec le froid mordant, la nuit tombante et sans la petite menotte d’El’ agrippant ses vêtements, elle réalisait qu’elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’elle devrait faire en premier.
Demander de l’aide aux passants ? Retourner dans le magasin ? Aller au commissariat ? Mais c’est où le commissariat ! Et alors qu’elle avait son téléphone en main pour chercher le poste de police le plus proche, une révélation frappa Sidonie.
Tandis qu’elle composait le numéro des forces de l’ordre, une lumière sur sa gauche avala celle de l’écran tactile du smartphone.
Une paire de phares étaient rivée sur elle.
Se rapprochant.
Un crissement.
Hiiiiiiiiiiiiiii !
6 h 40
Altération 1 — Sidonie Hiiiiiiiiiiiiiii ! 6 h 40 Dans un élan de panique, Sidonie bondit hors de son lit, sa main frappant fr&e…