Je suivais la silhouette militaire du Duc quand un valet s'interposa, me proposant une coupe de Compagne. Le temps de le congédier, et j'avais perdu ma cible. Néanmoins, la sortie &eacu…
Dzing ! Dzioïng ! Ting, ting, ting, dzing ! Quelques pas en arrière. Puis en avant.
Ting, ting, dziiing, ting.
Mon adversaire recula à son tour, afin de se remettre en garde. Je laissai s'écouler quelques secondes de répit, malgré nos corps bougeant sans cesse de sorte à transférer le poids du corps d'une jambe à l'autre, puis repartis d'une fente, les deux jambes opérants dans un même mouvement avançant.
Dzioïng !
Mon fer s'enroula autour du sien et la pointe de ma lame vint percuter la garde de son arme. Mon coup ayant échoué, j'effectuai un retour en garde, revenant d'un bond en arrière pour me mettre hors de portée d'une éventuelle contre-attaque, l'allonge de son bras armé étant supérieur au mien du fait de sa plus grande taille.
Michon me regardait fixement en attendant. Il savait que j'étais plus fine bretteuse que lui, mais avait un orgueil qui ne le laissait pas se démonter et être toujours sur la défensive. Je me mis en octave, tenant mon arme en supination, la paume vers le sol, et prête à parer une attaque sur la partie basse de mon corps. De son côté, mon grand et puissant adversaire, qui se tenait en seconde, tenant son arme en pronation, paume vers le haut et pointe de l'arme plus basse que sa main, passa en septime, la même position, mais avec la paume vers le sol. Je sentais venir son attaque, qui partit effectivement lorsque le poids de son corps bascula sur sa jambe gauche avancée.
Ting !
D'un mouvement de fer, je fis une parade en décalant sa lame sur sa droite, effectuai un pas chassé sur ma propre droite et lançai une contre-attaque sur son flanc. Qu'il esquiva en effectuant un pas chassé du bon côté. Nous tournâmes l'un autour de l'autre. Je sentais qu'il avait compris que je l'avais tourné dos à un mur de la cour où nous combattions, et il voulait s'en dégager. A l'aide de plusieurs attaques sans volonté de touché, je l'obligeai à se remettre dans la position qui m'intéressait. Comprenant que je ne le lâcherais pas, il arrêta d'essayer de se dégager de sa ligne. Il fit un bond en avant et tenta une banderole que j'esquivai d'un bond arrière. Sentant mes appuis meilleurs que les siens, je repartis immédiatement en avant, par petites attaques qu'il paradait aisément, le faisant reculer petit à petit. Il imprima un fouetté efficace, le mouvement sec de son poignet imprimant une belle ondulation à sa lame, et en profita pour effectuer un battement violent, venant percuter ma lame sans objectif autre que celui-ci. La propagation de l'onde de choc dans ma lame, mon poignet, mon avant-bras, mon bras puis mon épaule stoppa momentanément ma marche en avant. Après quelques secondes de garde commune, et ayant repris mes esprits, je lançai une nouvelle attaque.
Chemin faisant, le talon de son pied droit, extrémité de sa jambe arrière, vint toucher le mur. Se sachant acculé, je savais qu'il allait devoir passer à l'offensive. Il tenta une première attaque peu convaincante que je paradais facilement. Voyant ses mouvements de basculement sur ses jambes s'accélérer, je savais que l'attaque suivante serait plus travaillée. Au moment où je sentais qu'il se lançait, j'effectuai un appel en frappant le sol de mon pied gauche avancé. Cela le perturba un centième de seconde, que j'exploitai pour pivoter sur ma gauche, le laissant attaquer dans le vide. La pointe de ma lame vint se poser sur son pied droit qui s'était avancé lors de son attaque.
-Touché !
Je regardai Michon en souriant. Son visage ne cilla pas, semblant même tirer encore plus vers une sorte de colère froide. Cela faisait 3 touches à 0 depuis au moins une demi-heure que nous combattions. Nous n'étions plus aussi vifs qu'au début. Les changements d'appuis, les basculements du poids du corps, les passes avant et arrière, les bonds, tout était plus lent, moins fluide, et nos muscles commençaient à tirer fortement. Néanmoins, je sentais que la situation lui déplaisait, qu'il n'acceptait pas sa déroute et était prêt à continuer jusqu'à toucher au moins une fois. Il expira fortement du nez, se dégagea du mur de quelques pas chassés, et se remit en garde. Consciente qu'il ne lâcherait pas, je me remis en garde en face de lui.
Il attaqua directement avec un fort battement. Le choc se répercuta violemment dans la partie de mon corps tenant l'arme. Je sentais qu'il se bornerait à cela. J'effectuai un une-deux, mais il ne retomba pas dans la feinte qui lui avait valu son premier touché. Il s'avança et je reculai immédiatement. Je tentai une nouvelle fente, qu'il parada. Sa riposte immédiate sur ma lame se répercuta encore plus violemment dans l'ensemble de mon corps. Je grimaçai, et vis que cela le fit sourire. Il en profita pour réaliser un nouveau battement, qui fonctionna à merveille, mon épée m'échappant des mains. Il s'avança alors, lame pointée sur mon cœur. Je reculai devant lui. Il ramassa mon arme, et continua d'avancer, jusqu'à ce que mon dos ne soit bloqué par le mur de la cour.
-Gagné !
Ce n'était pas loyal, ni très académique, mais je dus reconnaître sa victoire.
-J'accepte la défaite.
Il baissa la pointe de son arme, attrapa le fer des deux armes dans sa main droite et se rapprocha encore plus de moi, les yeux accrochés aux miens. Je savais que cette maigre victoire ne le contentait pas. Je savais que ce qu'il voulait, au final, c'était moi. Je le sentais s'imaginer me prendre violemment contre le mur de la cour de l'hôtel de ma Grande-tante et mettre fin à des années de souffrance intérieure. Mais je savais que mon statut de noble, par rapport à son statut de simple palefrenier, me garantissait une protection invisible que mon frêle corps ne pourrait jamais apporter face au sien puissamment bâti.
Par dessus son épaule gauche, je vis ma grande-tante me faire des signes par une fenêtre. Je posai ma main droite sur son buste et lui glissai sensuellement :
-Je ne sais comment te remercier pour l’entraînement, Michon.
Un petit frisson parcouru son corps. Il fit une légère courbette et me répondit :
-Tout le plaisir était pour moi, mademoiselle. Et pensez à vous étirer les muscles pour éviter les courbatures.
Puis il me tourna le dos et partit ranger les armes.
Je quittai la cour de l'hôtel et entrai dans le bâtiment par la porte principale au moment où ma grande-tante descendait le grand escalier.
-Mon enfaaant ! Mais que faisais-tu donc à guerroyer dans la cour comme une sauvaaage ?
Ses paroles se répercutèrent dans le grand hall.
-Je m’entraîne pour l'escrime, grande-tante. Savoir me protéger me rassure. Surtout avec ce qui m'est arrivée hier soir.
-Mais ma chèèère, tu n'y penses donc pas ! La pratique de l'escrime est dangereuuuse ! Ce n'est pas pour les femmes, et encore moins pour les jeunes et nobles dames, voyooons !
-Mais j'avais l'habitude de pratiquer en Soulogne...
-Tu n'es plus en Soulogne, mon enfant, combien de fois devrais-je te le diiire !
-Mais, grande-tante... je pratique même moins qu'Anne...
Elle s'approcha vivement de moi, m’attrapant par le col et me chuchota, d'une manière courroucée :
-Mon enfant, je te rappelle que tu ES Anne de Pont-Sainte-Croix lors de ton séjour ici. Personne ne doit connaître la vérité, autre que tes gens et moi-même.
Elle jeta un coup d'œil furtif autour d'elle.
-Aucun de mes gens n'est au courant. J'espère que ta délégation est bien au fait de la chose !
-Oui, je leur ai promis une prime s'ils gardent leur langue.
-Hum... un peu de menace ne serait pas du luxe.
-Ne vous en faite pas, grande-tante, An... je m'en suis chargée avant que nous ne partions.
Grande-tante se détendit, me relâche, et repris, plus fort :
-Bien. Même concernant ce Miiichon ? Il ne m'inspire guère confiaaance. Une de mes nouvelles bonnes, d'une beauté indéniable, a tenté de le charmer hier soiiir, et s'est retrouvée face à une pierre tombaaale... Or, je ne vois pas quel homme pourrait lui résisteeer. Ce Michon est-il fait d'un cœur de pieeerre ?
-Il est particulier, mais je sais le gérer. Je me porte garante pour lui.
-Bien. J'ai invité un ami à manger ce midiii, et tu es conviée au repaaas. Va te laver, te préparer et te chaaanger, il faut que tu sois présentaaable.
Elle pointa mes vêtements simples mis spécialement pour l'escrime avec une grimace de dégoût.
-Je t'adjoins pour cela ma bonne chaaarmeuse, qui est rentrée d'un voyage de chez sa famille hier. Tu ne la connais paaas, mais je sais que vous allez bien vous enteeendre. Et pour l'escrime, je t'autorise à pratiquer, mais en restant discrèèète. Je ne veux pas que les gens saaachent que j'héberge une Amazone sauvageonne sous mon toooiiit !
Elle me quitta avec un regard amusé et un grand sourire.
J'entrai dans la salle d'eau et constatai qu'elle était vide. Je me rendis derrière le paravent pour enlever ma veste, mon pantalon de chanvre et tout le reste. J'enjambai alors, nue, le rebord de la grande bassine en eau trônant au milieu de la pièce, quand un petit cri retentit. Tournant la tête dans sa direction, je vis une jeune servante dans l’entrebâillement d'une porte secondaire, la main devant la bouche, les yeux fixés sur mon corps nu. Ce devait-être la bonne dont ma grande-tante avait fait mention. Sa beauté était effectivement flagrante, avec son visage poupin lisse garnis de deux beaux yeux bleus, d'un nez fin et d'une bouche charnue, ses cheveux roux flamboyants dépassant de son bonnet blanc, ses formes légèrement arrondies et sa poitrine plutôt volumineuse à peines cachés par sa robe orangée cachant ses souliers. Je lui souris et rentrai entièrement dans la baignoire d'eau tiède.
-Madame... dit-elle en avançant vers moi.
-Mademoiselle !
Elle s'arrêta et rougit.
-Mademoiselle, vous ne pensez donc pas !
Elle reprit sa marche vers moi.
-Vous ne pouvez pas vous laver... nue !
Je m'immergeai complètement, plongeant la tête dans l'eau tiède et la ressortant. L'eau ruisselant sur ma nuque et mes épaules me fit un bien fou.
-Et pourquoi donc, belle jeune fille ?
-Mais... mais cela ne se fait pas !
Je savais que ma grande-tante avait des mœurs différentes de l'usage de la ville concernant la toilette, et préconisait l'usage de l'eau tant vilipendée quand les autres nobles se bornaient à une toilette sèche. Mais je voyais là qu'il y avait encore des différences entre chez ma grande-tante et la campagne.
-Comment t'appelles-tu ?
-Soizic, pour vous servir, mademoiselle.
-Soizic ? Ton prénom te trahit : je suppose que tu viens de la province de Breitzh.
-Mademoiselle a raison.
-Soizic, je t'autorise à m’appeler Anne, plutôt que de me donner du Mademoiselle.
-Bien Made... Anne.
-Et donc, si tu viens de la province de Breitzh, que fais-tu ici ?
-J'ai suivis mon ancien maître à la capitale à mes 16 ans. Il est mort après 2 ans loin de sa côte natale. La capitale ne lui a pas réussi. Et j'ai eue la chance de rentrer au service de Madame dans la foulée, il y a 3 mois.
-Tu es encore bien jeune alors ! Assez pour ne pas être remplie de manies et de certitudes qui n'ont pas lieues d'être. Te lavais-tu, quand tu étais encore dans ta famille ?
-Ou... oui.
-Et comment faisais-tu ?
-J'allais à la rivière.
-Comme moi en Soulogne. Et étais-tu vêtue lorsque tu te lavais à la rivière ?
-No...non.
Son visage s'empourpra.
-Voilà. Je te rassure, moi non plus en Soulogne. Ainsi qu'ici aussi, donc. Après l'escrime, il faut que je me lave entièrement de mes efforts et que je frotte activement mes muscles endoloris. Et rien de mieux, pour cela, que le faire dans l'eau. Et nue.
Elle me regarda en souriant, signe d'assentiment.
-Tu peux venir m'aider et me frottant le dos, par exemple.
Je la vis hésiter.
-Mais si tu as vraiment peur que quelqu'un ne nous surprenne ainsi, tu peux aller fermer les portes à clefs...
Ce devait être cela, puisqu'elle se précipita pour mettre en pratique mes dires. J'en profitai pour attraper une serviette qui traînait au pied de la bassine, la plonger dans l'eau, et me la passer sur les bras et les jambes.
-Attendez, A... Anne. Laissez moi faire.
Soizic, qui était revenu vers la bassine, me prit la serviette des mains, et se mit à me frotter le dos et la nuque. Je la laissais faire, fermant les yeux et profitant de ces mouvements apaisants.
-N'hésite pas à frotter fermement les bras, les épaules et les jambes.
Elle passa de la nuque aux épaules.
-Je... je vous ai vu combattre, tout à l'heure, dans la cour.
-Est-ce moi que tu espionnais, ou ce beau Michon ?
Sentant ses mouvements s'arrêter, je me tournai vers elle, pour la voir gênée.
-Allons, Soizic, ce n'est pas la peine d'être gênée. Michon est un très bel homme qui fait tourner bien des têtes en Soulogne.
Elle reprit ses frottements.
-J'ai voulu le charmer hier soir. Et... et il m'a envoyée paître.
Une certaine déception traînait dans sa voie. Elle ne devait pas avoir l'habitude d'avoir ce genre de retour.
-Ne t'en fais pas, belle enfant, ce n'est pas contre toi qu'il en a. Michon est un garçon particulier. Mais je pense que tu peux arriver à tes fins.
-Vous... vous êtes sûre ?
-Vois-tu, je pense que ce jeune homme n'a jamais connu de femme. Et il est malheureusement épris d'une femme en particulier, qu'il veut pour s'instruire aux choses de l'amour.
-Oh !
Soizic mit sa main devant sa bouche.
-Mais ne t'en fais pas, je pense qu'en t'y prenant bien, tu arriveras à le faire changer d'avis. Tu as ce qu'il faut pour.
Soizic sourit.
-Il ne faut pas que tu lui fasses ouvertement des propos coquins. Passe du temps avec lui, intéresse toi à lui, d'où il vient, ce qu'il aime. Reste souvent avec lui, sans être provocante, mais tout en étant suffisamment apprêtée pour faire monter le désir en lui. Et attend de récolter les fruits.
Une fois le corps décrassé et les muscles détendus, je sortis de la bassine. Soizic me sécha, m'apporta la robe de la veille qu'elle m'aida à enfiler, et m'assista dans la réalisation de ma coiffure et de mon léger maquillage, qui prit en compte de cacher le bleu à la tempe résultant du coup porté à ma tête la nuit dernière.
-Vous êtes très belle, Anne.
-Merci Soizic. Toi aussi.
Je lui fis une petite bise sur la joue, qui rougit dans la foulée.
J'entrai dans la salle à manger en même temps qu'une vieille servante venant déposer une assiette de soupe à ma place. Ma grande-tante se leva pour m’accueillir :
-Aaaanne, mon enfant ! J'ai l'immeeense honneur de te présenter mon cher ami Bronsaaard !
Un petit homme trapu, joufflu, au crâne dégarni mais élégamment vêtu se leva :
-Ma très chère Anne, je suis en grande joie de faire votre connaissance. Mais ne prenez pas la peine de faire comme votre très aimable grande-tante, et appelez-moi par mon prénom : Henri. Et je tiens à préciser que votre beauté est conforme à ce que l'on m'en avait dit !
Se faisant, il se tourna vers ma grande-tante pour lui adresser un sourire qu'elle lui rendit immédiatement. Nous nous installâmes à table, chacun devant son assiette de soupe aux légumes. J'attrapai ma cuillère en argent et commençai à me sustenter, les efforts de la matinée et les aventures nocturnes m'ayant ouvert l'appétit. En face de moi, Henri Bronsard fit de même, avalant ses cuillerées dans de grands bruits d'aspiration.
-Je disais à Monsieur Bronsaaard, avant que tu ne nous rejoignes, que je t'avais espionné la nuit dernièèère chez notre amie Madame de Drouot. Tu n'es pas passée inaperçue dans la foooule !
-Et comment aurait-elle pu l'être, étant donné la créature rêvée qui se tient devant moi !
J'estimai que cette gratification de Monsieur Bronsard était forcée. J’avalai une nouvelle cuillère de soupe.
-Maaaiiis, repris ma grande-tante, je t'ai également espionnée lors des daaanses. Et de ce côté lààà, il y a des progrès à faaaire ! Tu as un beau port de buuuste, mais il faut que tu sois plus dynamique dans tes mouvemeeents, et moins attentive à ceux de ton cavalieeer.
Henri posa sa main sur celle de ma grande-tante.
-Et vous pouvez faire confiance à Marguerite et ses conseils avisés en danse, je n'ai jamais eu l'occasion de danser avec une cavalière aussi aguerrie !
Grande-tante rougit à cette remarque. Elle prit une cuillère de soupe pour retrouver le contrôle.
-Et sachez qu'avec l'année de festivités à venir, l'occasion de danser ne manquera pas. J'espère pour vous que vous saurez vous montrer dans vos meilleurs atours et avec vos meilleurs atouts lors du Grand Bal du Roi !
-Et à ce propooos, il faut que tu saches danser les dernières danses à la mode, dont le menueeet. Je suppose que tu ne sais le danseeer ?
Je dus bien admettre que non.
-Ne t'en fais pas, ma chèèère, ta grande-tante chérie a tout prééévu. Un des meeeilleurs professeurs de danse que je connaisse viendra te formeeer. Et tu commences tes leçons pas plus tard qu'après le repaaas !
Je savais que Marguerite avait toujours un coup d'avance, et qu'il ne me serait pas judicieux d'aller à son encontre tant que je ne maîtrisais pas les us et coutumes de la capitale et de la cour royale. De plus, il fallait bien reconnaître que ces cours ne seraient pas superflus.
-Je vous remercie grandement pour ce présent !
Je me levai, contournai la table, vins lui poser une bise sur la joue, puis retournai m'asseoir.
Une fois les assiettes de soupe terminées, la vieille servante apporta un pichet de vin et revint servir trois assiettes comprenant des découpes de volaille et une salade assaisonnée. Je me tournai vers Monsieur Bronsard :
-Dites-moi donc, Henri, dans quel contexte avez-vous fait la connaissance de ma grande-tante ?
-Je pense, chère Anne, que vous avez dû vous rendre compte que je ne proviens pas d'une famille issue de la vénérable noblesse de notre royaume. Je suis un bourgeois qui a fait fortune dans le commerce maritime. Principalement avec les Gêmois, chez qui j'ai pu glaner cet excellent Quanti que nous allons boire avec la poularde, et avec l'empire Turcoïde, ce qui me permet de pouvoir proposer à la capitale des mets et objets venant de très loin en orient. J'essaye, avec un bien grand mal, de tisser des liens commerciaux avec la Vécinie, mais le contexte politique n'est pas favorable du fait de leurs guerres constantes avec l'empire Turcoïde.
-Tout ça semble si loooin !
-Que ne le vous dîtes pas, chère Marguerite ! Les transports ne sont malheureusement pas sûrs, à tel point que j'en ai perdu tous mes cheveux !
Nous gloussâmes toutes deux.
-Mais je vous en prie, goûtez cette poularde et ce bon vin que je vous propose à mon plus grand plaisir.
Nous mangeâmes tous trois en silence, savourant chaque bouchée de cette viande blanche cuite à point et chaque gorgée de ce vin rouge léger et fruité.
Le fromage fut servis dans la foulée, et nous passâmes au petit salon.
Pendant que Marguerite s'absentait quelque temps, nous nous retrouvâmes Henri et moi assis autour de la table basse située dans un coin du petit salon.
-Savez-vous, ma chère Anne, que je n'ai jamais vu personne aussi belle que vous ?
La flatterie de mon interlocuteur était flagorneuse, mais je me demandai toutefois s'il n'y avait pas également un sous-entendu qui ne me plaisait guère. Je décidai donc de changer de sujet de conversation :
-Je vous remercie grandement, Henri. Une question me taraude : par où faites vous accoster vos navires marchand, du fait de votre commerce avec les Gémois et les Turcoïdes ? De la lointaine Massalia ?
-Oui, belle enfant. J'ai eu l'opportunité de lier des contacts dans la cité du fait de la famille de ma femme décédée, ce qui m'a permit de lancer et faire tourner ce commerce florissant. Le transport des marchandises se fait ensuite de manière terrestre entre Massalia et la capitale.
-Mais... gérez-vous également cette partie là ?
-Oui. La force de mon entreprise vient du fait que je gère totalement le transport des marchandises depuis les ports Gémois et Turcoïdes jusqu'à la capitale, via mes cinq navires de commerce et mes caravanes terrestres.
J'essayai de gagner du temps :
-Passionnant. Mais cela doit être dangereux !
-Effectivement, les risques de piratages et de brigandage existent. Mais j'ai su m'adjoindre, moyennant finance, la protection de troupes de gentilshommes de fortune qui s'avèrent très efficaces. Et me faire connaître dans tous les ports où nous intervenons.
Marguerite entra dans le petit salon, suivie de la vieille servante portant un plateau contenant trois petites tasses fumantes, trois verres d'eau et des petits gâteaux secs. Elle s'assit à sa place et plaça une tasse, contenant un liquide noirâtre fumant, un verre d'eau et un petit gâteau devant chaque convive. Circonspecte, je regardai le liquide noir devant moi, d'où se dégageait une odeur intense :
-Mais... qu'est-ce donc que ceci ?
Les deux autres me regardèrent en souriant.
-Ma chère Anne, ceci est du café, une boisson aux nombreuses vertus bénéfiques pour la santé. Elle provient de l'empire Turcoïde, et est une de mes principales demandes de la part de la noblesse et de la cour royale qui l'a adopté très rapidement. Je me permets de vous en faire profiter, et je suis sûr que, de la même manière que votre grande-tante, vous l'adopterez rapidement.
-C'est excellent pour la digestiooon, les maux d'estomacs, et cela permet de veiller longtemps et de garder l'esprit claaair !
Je plongeai mes yeux dans le noir intense et fumant de la tasse.
-Il vous faut le boire d'une traite, puis boire une gorgée d'eau pour vous laver la bouche et faire légèrement passer le goût prononcé. Vous pouvez également manger un petit gâteau sec pour cela.
Les imitant, j'avalai le café d'un mouvement sec. Une sensation chaude et intense traversa mon œsophage, tandis qu'un goût prononcé s’imprégna dans mon palais, mes gencives et mes dents. Je ressentis également une décharge foudroyante, comme si je me réveillai d'un bon après un cauchemar dans une nuit mouvementée. Je pris une gorgée d'eau, réalisai un bain de bouche et avalai l'eau qui s'était imprégnée du goût du café. Je croquai alors dans un petit gâteau sec.
-Alooors ?
-C'est très bon. Mais très fort !
Ils rigolèrent tous les deux.
-Ma chèèère enfant, il va maintenant falloir nous laisser discuter de choses personneeelles.
Elle gloussa, et repris :
-Ton professeur de danse ne devrait pas taaarder à arriver. J'ai demandé à Soizic de t'aider à te prépareeer. Tu iras prendre les cours dans le grand salon que j'ai fait préparer pour celaaa.
Je les quittai et refermai la porte sur des messes basses. Soizic me rejoignit dans ma chambre pour m'aider à enfiler une robe légèrement bouffante mais à corset très serré, que ma grande-tante voulait que j'essaye. Je lui demandai :
-Je ne comprends pas ce que ce monsieur Bronsard fait ici.
-Madame votre grande-tante est une personne très convoitée depuis qu'elle est veuve. Outre sa personne encore désirable pour son âge, ses titres de noblesse posthumes attirent un grand nombre de prétendants, nobles comme bourgeois. Monsieur Bronsard n'est qu'un parmi d'autres.
-Mais... Grande-tante a 65 ans. Je ne sais l'âge de Monsieur Bronsard, mais je lui en donne une quarantaine.
-Il a 42 ans. Mais sachez, Anne, que l'âge n'a peu d'importances dans ce genre de considérations. De plus, votre grande-tante sait pleinement profiter de cette situation. Tant sur l'aspect économique que... d'autres, si jamais vous voyez ce que je veux dire.
Une fois apprêtée, je me rendis au salon. La pièce avait été débarrassée de tout objet pouvant gêner pour la pratique de la danse. Des portraits de membres de notre famille ornaient les quatre murs de la pièce. Mon regard s'arrêta, nostalgique, sur le tableau plutôt réussi de feu mon père. Le bruit de la porte principale s'ouvrant dans mon dos me tira de mes rêveries.
-Je ne peux que reconnaître que vous êtes pleine de grâce, mademoiselle !
Cette voix ! Je me tournai pour faire face à mon professeur.
-Vous !
Le duc... le sieur Bono, en face de moi, me répondit d'un clin d’œil désarmant.
Le faux duc se tenait devant moi droit comme un « i », me regardant avec un sourire aux lèvres. Il était encore élégamment vêtu, ayant cependan…