Dans la lumière tamisée de la cuisine, Amelia regarde à travers la vitre du four à micro-ondes, ses yeux fixés sur les steaks hachés qui se décong&egr…
Amelia attrape le dragonnet qui ronronne et s’allonge sur le canapé avec lui. Il s’enroule sur son ventre, vibrant comme un moteur, elle l’entoure de ses mains. Qu’il est chaud…
***
Les mains resserrées autour de son chocolat chaud, Lana frissonne. Les gens qui entrent dans le bar la regardent bizarrement, elle les entend penser : qui est assez cinglé pour petit-déjeuner dehors en décembre ? Mais avoir la terrasse pour elle toute seule compense largement sa goutte au nez. Face à elle, les gens courent ou traînent, mains dans les poches et bonnet sur les yeux. Ah, elle se régale.
Lana boit une gorgée de chocolat, grimace à sa gorge brûlée mais sourit à la chaleur dans son estomac.
Tiens, la rue est bien sombre tout à coup. Quelqu’un montre le ciel :
— Regardez !
Cris stupéfaits, certains sortent leur portable et se mettent à filmer, quelqu’un hurle. Que… Lana écarquille les yeux, c’est… Elle se lève d’un bond et, de ses doigts gourds, sort son téléphone et active la caméra. Nom de… Quoi, deux ?! Le deuxième… dragon ?! descend vers eux, va-t-il se poser ? Cris de panique, il est gros comme un autobus, les gens courent, Lana reste, elle ne va quand même pas gâcher une place au premier rang, si ? Ah, quand ses amis verront cette vidéo ! La gueule du dragon s’ouvre. Oh oh… Le monde devient rouge. Lana hurle.
***
Amelia s’éveille en sursaut, une explosion ? Voraz couine, elle le berce.
[Là mon petit, là…]
Battement de cils, prunelles d’or.
[Ma… man…]
Ronron. Amelia le cale dans le creux de son cou et va à la fenêtre. Mais que s’est-il passé ?! La ville est en flammes. Une ombre ailée passe. Que… Amelia frémit. C’est moi qu’il veut ! Elle se détourne du carreau et s’adosse au mur pour ne pas tomber. Voraz piaule et lui mordille l’oreille. Elle le prend dans le creux de ses mains. Il est tellement petit… Est-ce bien de l’inquiétude dans ces yeux jaunes ? Ou bien le simple reflet d’elle-même ?
Fracas, Amelia se tasse, derrière la fenêtre un gros objet tombe, un… Il est en train de démonter l’immeuble ! Elle serre Voraz contre son cœur, se calmer, respirer, là, là… Nouveau choc à l’étage, des gens hurlent. Partir d’ici. Mais… Elle regarde le dragonnet. C’est lui qu’il veut, pas moi. Va-t-elle devoir le laisser ? Elle se mord la lèvre. Voraz s’agite, a-t-il deviné sa pensée ?
[Ma…man…]
Le cou du petit est tendu vers elle, ses yeux grands ouverts. Amelia retient un sanglot.
[Je ne veux pas te laisser…]
[Ma… man !]
Boum. Du plâtre tombe du plafond. Il est juste au dessus. Elle doit prendre une décision, vite. S’il me trouve avec toi… Sa gorge se serre. Elle n’a pas le choix. Et puis, un bébé dragon, ce n’est pas fait pour être élevé par une maman humaine. Elle plante ses yeux dans ceux de Voraz, paillettes d’or et ombres de flammes.
[Écoute. Tout est pour le mieux. C’est ta vraie maman qui vient te chercher.]
Voraz gémit, le cœur d’Amelia se fend.
[Je n’ai pas le choix, Voraz.]
— Morty ! appelle-t-elle.
Elle ne partira pas sans son chat. Celui-ci rapplique avec un miaulement désespéré et se blottit contre sa jambe. Y a plus qu’à… Elle embrasse Voraz et le pose au sol. Piaulement, de petites griffes agrippent ses manches, elle les décroche avec douceur.
[Ma…man !]
[Non, pas maman.]
Elle attrape Morty et se détourne. Fracas, souffle chaud, boum. Sifflement. Ouch… Le sol. Elle est tombée ? Il fait chaud. Morty… Morty n’est pas là. Parti ? Où ? Souffle chaud. Elle se tourne. Une masse lui bouche tout, noire, reflets de sang. C’est… Elle recule sur les fesses.
[Maman dragon ?]
Grondement sourd, prunelles incandescentes, putain il faut qu’elle se barre de là ! Fracas, le plafond se fissure, Amelia crie et se met en boule. Les fragments pleuvent sur elle, elle s’entend crier sous les impacts.
C’est fini ? Elle se retourne. Noir partout. Où… Quelque chose bouge. Projecteurs vert. Des yeux ? Et une tête, grosse comme une vache. La gueule s’ouvre, brasier qui couve. Non.
[Non, pitié, non !]
Qui explose.
***
Voraz crie.
[Maman !]
Il a senti la panique de sa mère et puis le lien s’est coupé d’un coup, il est déchiré, il est perdu. L’ombre s’enroule autour de lui, yeux de lumière.
[Mon fils.]
[Ma…man ?]
Non, Maman n’est pas comme ça, Maman sent… Maman est…
[Sar, mon fils.]
La voix l’englobe.
[Oublie cette humaine. Elle ne t’est rien, Sar.]
Le réchauffe. Le protège.
[Ma…man…]
[Oui.]
Elle lui donne un grand coup de langue.
[Va manger maintenant, Sar. Papa t’a fait de la viande grillée.]
***
Sar se pose sur le haut-roc, d’où il a passé tant d’heures à regarder le monde. C’est la dernière fois qu’il parcoure ainsi son territoire d’enfance : demain, il devra partir, seul. Trouver son territoire, la compagne de sa vie… Et, surtout, une réponse que ses parents refusent de lui donner. Pourtant, il est sûr qu’ils savent quelque chose, car ils vibrent de colère quand il en parle, surtout sa mère. Quelle est cette voix qui l’appelle dans son sommeil et le poursuit jusque durant le jour, accompagnée d’une odeur douce, entêtante et inconnue :
[Voraz…]