— Grand-mère ? Que fais-tu ici ? balbutia Amélia, la main toujours posée sur la poignée de la porte. La silhouette de sa grand-mère se dessina …
— Tu veux dire quoi ? Hé, tu commences à me faire peur.
— Viens.
— Mamie ?
— Tu ne voudrais pas mettre le feu à l’appartement ?
Amelia toisa son aïeule avec de gros yeux.
— Puisque tu n’as pas l’air pressée prends une tenue dans laquelle tu es à l’aise. Et une douche.
— Ouais… je suis sortie hier et me suis écroulée comme une masse… ça se voit tant que ça ?
Un demi-sourire et un haussement d’épaules lui répondirent.
Vaincue, la jeune femme obtempéra, caressa Morty qui se souciait bien peu de son départ tant que sa gamelle serait remplie ce soir et rejoignit sa grand-mère dans sa voiture. En ce dimanche où la pluie menaçait de tomber, le trafic londonien était fluide.
— On va où ? s’enquit Amelia.
— Chez moi.
D’une certaine façon, elle était soulagée. Au milieu de tous ces mystères son entrée dans un monde inconnu allait au moins partir d’un point familier.
Pourtant sa gorge se serrait et, plus le temps passait, plus briser le silence lui paraissait insurmontable.
Sur cette pensée, une sensation de chaleur irradia comme un soleil contre sa nuque, pour ensuite se répandre entre ses omoplates. Alors ses épaules se décrispèrent.
Par le reflet du rétroviseur intérieur, Amelia eut tout juste le temps de voir une figure reptilienne ondoyer furtivement dans son cou.
— Mamie … ? Tu… tu voulais dire quoi par… « sacrifice » ?
La vieille femme soupira.
— Disons qu’il vient de t’arriver quelque chose d’à la fois merveilleux et…
Le tremblement dans sa voix fit hésiter Amelia à vouloir en savoir plus. Surtout tant que sa grand-mère serait au volant.
— Je sais que c’est encore flou et fou pour toi, mais il va falloir que tu partes du principe que les dragons existent. Bien différents de l’idée que tu en as.
À nouveau, Amelia ressentit une vague de chaleur qui détendit ses épaules.
Le décor gris se para de vert, la jeune femme reconnaissait les paysages ruraux des vacances chez sa mamie.
— Les dragons naissent avec une sorte d’immunodépression sévère qui les oblige à se choisir un protecteur.
La vieille femme s’interrompit, le temps de s’engager dans un étroit chemin forestier.
— Il va alors vivre en symbiose avec ce protecteur.
— Tu veux dire que… ?
— Dès lors qu’il t’a marquée, vous partagerez tout. Vos pensées, vos sentiments, vos émotions… ton corps, ses pouvoirs. Pour le moment, c’est un bébé, alors il ne te communique sans doute pas grand-chose. Surtout, il ne contrôle pas grand-chose.
D’où la possibilité de mettre feu à l’appartement.
— C’est pourquoi il est nécessaire que, dès aujourd’hui, je t’apprenne à entrer en communication avec lui. D’autant plus qu’il doit ressentir le trouble qui t’agite en ce moment.
— Mais… cette histoire de sacrifice ?
La vieille femme lâcha un profond soupir.
— Plus nous utilisons les pouvoirs d’un dragon plus il… prend possession de son protecteur, jusqu’à ce qu’une fusion totale entre les deux êtres s’opère. D’ici dix ou quinze ans… ce ne sera plus « Amelia » dans ton corps. Ça n’aurait pas dû t’arriver, tu es si jeune…
La concernée émit un petit son étranglé, à la fois incrédule et choquée par les propos tenus par sa grand-mère.
Sa mamie, elle aussi habitée.
— Mais toi… ?
— Oui, ma chérie.
Alors que la voiture se garait dans l’allée, les yeux reptiliens qu’elle avait furtivement croisés dans le regard de sa mamie se plantèrent dans les siens.
— Angus a été là pour moi comme personne ne l’a été lorsque j’ai perdu ton grand-père et ta mère. Mais nous avons aussi connu de grandes joies, comme la première fois que nous avons volé ensemble… ou lorsqu’il m’a révélé son nom.