Alex et Sara avaient emprunté un escalier lugubre pour rejoindre l’étage. Les vieilles marches en bois étaient pour la plupart rongées par le temps et les mites. Leu…
Willem s’était dirigé vers le salon, mais n’avait rien trouvé d’intéressant. Il poursuivit son expédition en explorant la cuisine au sol en damier. Une substance nauséabonde se collait sous ses chaussures à chacun de ses pas. Au milieu de la cuisine se trouvait une immense table, qui devait servir de plan de travail à en croire les traces de coup de couteau réparties çà et là. Tout le mobilier semblait aussi vieux et abîmé que le reste de la maison. La cuisine donnait sur un couloir sur la gauche qui semblait mener au reste de la maison encore non exploré. Willem réalisa que le silence pesant de la pièce était brisé par un bruit d’un moteur. Celui du frigo. Comment ce vieux réfrigérateur pouvait encore tourner ? Curieux, il remonta ses lunettes sur le nez et activa la poignée grise. Le jeune brun faillit rendre tout le houblon coincé dans son estomac lorsqu’il découvrit des mains et des pieds humains emballés dans des sachets plastiques. Certains étaient petits, d’autres poilus. Plus son regard descendait à travers les rayons, plus l’horreur grandissait. Deux têtes d’humains étaient posées, tels des trophées de chasse, sur des assiettes pour éviter que le sang ne coule jusqu’au bac à légumes rempli d’entrailles et de morceaux de cerveau.
N’y tenant plus, le jeune homme ferma le frigo et vomi dans l’évier en inox juste à côté. Il recula, s’éloignant le plus possible de sa découverte morbide. Derrière lui se trouvait une fenêtre, donnant sur la partie de la cour où se trouvait l’arbre torsadé. Ce satané chêne qui les avait attirés dans cette maison de l’horreur. Soudain, une ombre passa sous la fenêtre. Willem n’eut pas le temps de voir de quoi il s’agissait, il prit appui sur le plan de travail fixe du mur et observa l’obscurité de l’extérieur. Pas un bruit ni un mouvement à l’horizon. Il devina la forêt au loin et pensa à sa tente qui l’attendait bien sagement au milieu des bois.
Un hurlement le fit bondir de peur. Willem se retourna brusquement et n’osa plus bouger. Le cri venait de l’étage ? Il s’agissait probablement d’Alex, car il avait reconnu la voix de son ami. Le jeune homme remit ses pieds au sol et avança en direction de l’entrée de la maison, là où il avait quitté ses amis quelques minutes plus tôt. Un énorme fracas retentit dans toute la maison. Cela venait des escaliers.
— Qu’est-ce qui se passe, putain ? bredouilla Willem.
Les mains tremblantes, il poussa les portes battantes de la cuisine et marcha lentement en direction du bruit. C’est alors qu’il vit Alex courir dans le couloir.
— Will, putain, tu peux pas savoir comment je suis content de te voir !
— C’était quoi ce bruit ? Ton bras !!! Où il est passé ? s’écria-t-il, découvrant la blessure béante de son ami.
— Il y a un gamin cannibale à l’étage ! Il me l’a arraché ! Je suis sûr qu’il n’est pas seul. Sara…
Il s’écarta et montra au loin le corps sans vie de la jeune fille. Willem était pétrifié par ce qu’il voyait.
— C’est… c’est Sara par terre ? demanda-t-il, connaissant déjà la réponse. On doit l’aider, elle bouge plus…
Alex marqua une pause avant de répondre à son ami :
— On ne peut plus rien pour elle… On doit retrouver ta cousine et Benjamin et se barrer le plus loin possible, il y a des… corps là-haut… Une fille est mutilée… On doit aller chercher les secours…
Un bruit de craquement interrompit les garçons. Ils se retournèrent et virent avec horreur l’enfant au milieu des escaliers, en train de les observer, accroupi. Alors qu’il était en train de mastiquer ce qu’il restait du bras d’Alex, il interrompit son repas et les fixa en restant immobile, attendant le moment idéal pour se jeter sur ses proies.
Au même moment, la trappe sur la gauche, menant au sous-sol, s’ouvrit dans un grincement. Une femme maigre, habillée de vieux vêtements, arriva sur le palier. Des cheveux gris parsemaient son crâne recouvert de croûtes. Ses ongles longs à moitié cassés étaient tachés de sang. Elle se lécha les lèvres et bougea une mèche de cheveux blonds encore coincée entre ses dents. Willem reconnut la couleur de la chevelure de sa cousine.
— Emma… qu’est-ce que vous avez fait à Emma… marmonna-t-il, terrifié.
— Elle était délicieuse, si tu savais…
Mais cette voix ne venait pas de la femme aux vieux vêtements ni du petit garçon sauvage. Elle venait d’une silhouette qui se détacha de l’obscurité. Les garçons reconnurent leur ami, Benjamin. Mais ce n’était plus le même Ben qu’il connaissait. Celui-ci avait le regard fou, un sourire diabolique déformait son visage. Sa barbe était tachée de sang.
— Maman, tu me laisses le rouquin, il a toujours été mon préféré…
Le sang des garçons ne fit qu’un tour. Alex attrapa le bras de Willem et l’entraîna dans la fuite la plus rapide de sa vie, direction la porte d’entrée. Mais cette dernière était verrouillée. La famille de cannibales se précipita sur leur repas, prête à passer à table. Les jeunes hommes devaient agir vite, alors ils partirent dans la cuisine et coururent pour échapper à leur mort. Ils empruntèrent le couloir découvert par Willem quelques minutes auparavant et ouvrirent la première porte qu’ils trouvèrent sur leur passage. Elle menait à une salle de bain. Mais la mère de Benjamin agrippa le garçon à lunettes et lui mordit l’oreille. Celui-ci hurla de douleur, du sang coula le long de son cou. Alex tira son ami vers lui au et donna un coup de tête en plein dans le nez de la femme. Elle libéra sa prise dans un râle de douleur, le morceau de chair était coincé entre ses dents. Le rouquin ferma la porte à clé avec le verrou intégré. Pensant être sortis d’affaire, les garçons entendirent la famille tambouriner de l’autre côté de la paroi et triturer frénétiquement la poignée… en vain. Le silence retomba, une ambiance angoissante planait dans ce court moment de répit. Alex regarda l’étendue des dégâts sur son bras déchiqueté pendant que Willem s’appuyait sur le lavabo, la tête baissée.
— Ils ont buté Emma… et ça va être notre tour… se lamenta-t-il.
— Non, je ne les laisserai pas nous tuer. On doit s’accrocher, insista Alex.
— C’est Ben qui a voulu aller dans cette putain de maison… Il nous a tendu un piège, ce taré… Comment il a pu nous faire ça ? C’était notre pote ! explosa-t-il.
Alex serra les dents, choqué et meurtri par la trahison de son ami. Il réalisa soudainement tous les comportements étranges de Benjamin depuis qu’il le connaissait. Sa fascination pour les situations gores, sa connaissance pointue de l’anatomie humaine. Il mettait ça sur sa volonté de devenir chirurgien, mais la réalité était bien différente.
Alex sortit de ses pensées et regarda dans tous les tiroirs pour trouver de quoi se soigner. Il tomba soudain sur un élastique long.
— Will, fais-moi un garrot avec ça, je me vide de mon sang.
— Comment tu peux tenir encore debout, sérieux ? demanda son ami.
— L’adrénaline, peut-être… J’en sais rien…
Son camarade s’exécuta et lui comprima le peu de bras qui lui restait. Le duo réalisa tardivement qu’une odeur de chair envahissait la pièce.
— C’est ton bras, qui sent comme ça ? demanda Willem.
— J’espère pas…
Il observa autour de lui pour éviter de penser à son membre manquant et la douleur qui fusait dans tout son corps. Soudain, il aperçut quelque chose qui pouvait les sauver.
— Regarde, il y a une fenêtre !
Dans le fond de la pièce se trouvait une baignoire avec un rideau de douche tiré. Au-dessus de la barre en fer, une petite fenêtre avec un carreau cassé donnait sur l’extérieur de la maison. Les garçons se rapprochèrent du rideau et le tirèrent pour exploiter cette sortie miraculeuse. Mais ils poussèrent un cri de terreur en découvrant que la baignoire n’était pas vide. Un homme nu baignait dans son propre sang. Son regard fixe et sa peau grise n’étaient pas les seuls signes de sa mort. Sa cage thoracique était ouverte, les côtes étaient déployées à l’extérieur du corps du malheureux, laissant apparaître tous les organes vitaux. Voilà d’où venait l’odeur de cadavre.
Alex eut un relent de dégoût, mais ne perdit pas son objectif de vue. Il tendit son unique bras vers la fenêtre et l’ouvrit, laissant entrer le froid de la nuit.
— Le passage est petit, mais on peut sortir, j’en suis sûr.
Il réalisa que Willem ne quittait pas des yeux le cadavre de la baignoire.
— Il a bougé… Je suis sûr qu’il a bougé les yeux…
— Non, Will, il est mort, je t’assure. Son cœur ne bat plus, ça se voit là quand même ! Et ses poumons ne se gonflent pas, allez s’il te plait, mec…
Les jambes de Willem se mirent à flageller. Les forces du jeune homme étaient en train de le quitter.
— Il est mort… On est tous morts… C’est un cauchemar…
Alex le chopa par les épaules et le secoua.
— C’est pas le moment d’être en état de choc, réveille-toi ! hurla Alex.
Willem détacha enfin son regard de la baignoire et fixa son ami.
— Voilà, c’est bien, tu te concentres sur moi et sur rien d’autre.
L’adolescent à lunette reprit ses esprits avant de réaliser un élément troublant.
— Pourquoi ils ne frappent plus contre la porte ? demanda Willem. Et s’ils étaient partis…
— Crois-moi, ils n’attendent qu’une chose, c’est qu’on sorte par la porte. Allez, grimpe.
Willem passa sa jambe par-dessus la cage thoracique, ressemblant à un déploiement d’ailes d’un oiseau. Il effleura une côte et pleura de panique.
— Aller, plus vite, je t’en supplie, implora son ami.
Le rouquin barbu força son compagnon de route à passer par la fenêtre en lui hissant le postérieur. Son corps passa difficilement, Willem dû se tortiller tel un ver de terre pour passer enfin de l’autre côté. C’était au tour d’Alex. Étant d’une corpulence plus fine, il s’enfila facilement dans l’embouchure. Il s’étala sur l’herbe humide, Willem l’aida à se relever en le soulevant par son bras gauche. Ils partirent tous les deux en courant, soulagés d’avoir échappé à la maison des enfers. Mais l’horreur reprit de plus belle lorsque Willem fût stoppé net dans sa course par une corde qui lui attrapa le cou. Il poussa un râle d’étranglement avant d’être traîné jusqu’à l’arbre torsadé.
— Non !!! Wiiiill !!!
Alex courut après son ami, mais il ne pouvait plus rien faire pour lui. La longue corde était tenue par un homme perché sur les branches de l’arbre. Ce dernier poussa des cris de joie, semblable à ceux des cow-boys et se dandina d’excitation. Il tira de plus en plus sur la corde, attirant Willem jusqu’à son triste sort, pendu, gigotant dans tous les sens. Alex entendit les derniers souffles de son ami, qui devait probablement le supplier de l’aider.
Le rouquin hurla et partit à toute vitesse en direction de la forêt. En pleine obscurité, la famille cannibale ne pouvait pas le retrouver. C’était sûr. Grâce à la lumière de la lune, il avait retenu la route, direction le campement. Il partit tout droit, mais son pied s’enfonça dans le vide et Alex fut précipité dans un trou caché par des feuillages. À peine un mètre plus bas, le garçon se retrouva empalé sur des pics préalablement installés. Un piège fatal concocté par les habitants de l’hospice abandonné. Aucune pointe n’avait atteint de points vitaux chez lui, ce qui le laissa conscient durant de longues minutes dans une agonie des plus horribles. C’est alors qu’il aperçut du mouvement au-dessus de lui. Il eut assez de force pour tourner légèrement la tête et constater avec effroi que quatre silhouettes l’observaient. La lune illuminait les regards rouges et remplis de folie de la famille de Benjamin. Ce dernier se tourna vers la plus grande silhouette d’entre toutes.
— Papa va chercher ta corde, on va le remonter. J’ai faim…