Tim-Oh, par LBaudot

Tim‑Oh avance d'un bon pas. Il est rodé à ce sentier escarpé qui mène jusqu'à l'Arbre. Il est le Gardien, seul autorisé à venir ici. Il occupe cette f…




Chapitre 2: Autour d'un thé., par Lyn

La femme hoche la tête, retire ses sandales et suit Tim-Oh.


Clap-Clap, font ses pieds sur le bambou. Un son décuplé par le silence de la nuit tombée.


Clap-Clap, elle a beau être étrangère en ces lieux, elle a la démarche sonore et assurée d’une personne qui sait où elle va et pourquoi.


Clap-Clap, sept ans qu’il n’a plus entendu d’autres pas que les siens sur son parquet après le crépuscule.


Clap-Clap, très différents des pas feutrés et mesurés de l’ancienne maîtresse des lieux.


Il invite Wan-Dâ à patienter. Elle dépose son modeste paquetage et s’agenouille au bord de la table basse du salon tandis qu’il infuse le thé. Le silence installé entre eux est alors troublé par le doux remous de l’eau en ébullition.


— Pardonnez-moi pour l’attente, dit-il, un plateau dans les mains.


Avec précaution, parce qu’il n’est plus habitué à se mettre au service d’autrui en dehors de son rôle de Gardien, il sert la décoction fumante dans deux petits gobelets polis, préalablement disposés pour lui et son invitée.


— J’espère qu’il sera à votre goût, je n’ai plus reçu depuis… je reçois peu de visite.


Comme elle porte déjà le breuvage à ses lèvres, il juge bon d’en faire autant, ignorant si ce sont les vapeurs de thé ou un sentiment de gêne qui font cuire ses joues. Après tout, là où lui voyait un signe de Lise-Hâ, la voyageuse n’est en déplacement que dans le cadre de sa fonction, rien de plus.


Wan-Dâ a maintenant les mains cerclées autour de son gobelet entamé.


— Cela vous est-il déjà arrivé ? demande-t-elle.


— Me retrouver dans une cité voisine ou plus loin encore ? Jamais.


Alors leur rencontre resterait un mystère insoluble conclu par un silence.


Wan-Dâ replonge son nez dans son gobelet.


L’eau est trop chaude pour finir d'une traite, mais Tim-Oh n’espère pas que la conversation déborde après quelques gorgées de thé. La Gardienne de l’Arbre a fort à faire dans sa propre cité et doit être éreintée.


— Je suis désolé.


— Pardon ?


— De vous avoir obligée à entreprendre un si long voyage.


— N’en auriez-vous pas fait autant vous-même ?


Au tour de Tim-Oh d’avaler une gorgée de thé. Sans doute n’aurait-il pas hésité bien longtemps. Le périple lui aurait au moins permis d’occuper son esprit plus endeuillé qu’il veut l’admettre. Il sait que ce n’est pas que le plaisir de répandre le bonheur qui le fait se lever le matin. C’est parce qu’il faut se lever chaque matin qu’il met du cœur à répandre le bonheur.


— Vous devez manquer aux gens de Mîn-Ter.


— Je serai remplacée bien avant de pouvoir leur manquer. Il était temps que je passe la main.


Entre plusieurs gorgées, Wan-Dâ lui révèle être issue d’une longue lignée de Gardiens. Sa famille était de celles qui avaient été choisies dans des temps immémoriaux pour partager la parole des morts et il n’en n’avait jamais été autrement. Alors, Wan-Dâ avait été éduquée dans cette perspective sans qu’il n’ait été question pour elle d’envisager quelconque autre vocation.


— Je donne peut-être l’impression de m’en plaindre, mais je n’ai jamais eu d’autres talents particuliers. Alors ça m'a toujours suffi.


Pourtant Wan-Dâ exprime des doutes ; vingt ans plus tôt, sa sœur cadette portait son premier fils.


— Je n’ai jamais ressenti aucune aigreur vis-à-vis de Man-Dâ et encore moins pour mon neveu. C’est même tout le contraire, je me réjouis avec elle en le voyant grandir, s’épanouir et je le vois devenir une meilleure version de lui-même, maintenant qu’il fonde sa propre famille, comme sa mère avant lui à l'époque. De cette famille résultera peut-être un autre enfant et ce sera un nouveau grand bonheur, de nouveaux enseignements à partager et des biens à léguer...


Wan-Dâ laisse couler un silence méditatif. Il semble à Tim-Oh qu'il devine où elle veut en venir : pourquoi la vie est-elle si longue si tout ce qui la remplit est voué à être abandonné ou à disparaître ?


— Qu'en est-il pour vous ? questionne-t-elle.


Son gobelet est vide.


— Les choses sont-elles différentes à Lî-Le ?