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Accoudée à la fenêtre du carrosse, je regardais, perdue dans mes pensées et sans vraiment les voir, les champs succéder aux petits bois. De temps en temps, le cahot d'une roue tapant un cailloux ou tombant dans un trou du chemin de terre très inégal me tirait de mes rêveries.
Les paysans, s'échinant péniblement dans leur labour, s'arrêtaient pour regarder passer notre attroupement, sûrement plus inquiétés par les quatre hommes montés et en armes qu'intrigués par le carrosse que ces derniers entouraient et protégeaient. Peut-être avaient-ils déjà vu passer plusieurs de ces engins hippomobiles dernièrement étant donné la situation.
Au loin, une fumée s'élevait dans l'air, signe d'un nouveau petit bois incendié afin de pouvoir le transformer en zone arable.
Plus nous approchions de la capitale, plus le terrain se dégageait et se transformait en terres cultivées. Il fallait nourrir la Bête, m'avait glissé Michon, le palefrenier et cocher du carrosse, en parlant de la Capitale, juste avant notre départ.
L'absence de végétation haute et la fumée au loin rendaient les températures élevées de cet été encore plus lourdes. Elle était maintenant loin, la boisée et humide Soulogne d'où j'étais partie. Et la mission qui m'était confiée, en ces temps incertains, me la faisait regretter amèrement...
Durant la minorité du Roi, et le tout début de sa majorité royale, une scission toucha l'ensemble du royaume, conséquence de la politique autoritaire et absolutiste menée par l'ancien Roi et son homme de l'ombre. A la mort de l'ancien Roi, du fait de la minorité du nouveau Roi et de la perte d'autorité du pouvoir, le royaume fut scindé en deux camps de forces plus ou moins égales pendant une dizaine d'années. Ce n'est qu'aidé d'appuis et de forces armés issues du royaume voisin d'Ibérie, et avec pour conséquence un mariage royal avec l'infante d'Ibérie, que le jeune Roi put renverser les frondeurs et reprendre la main, il y avait seulement deux ans, sur l'ensemble du royaume. Cependant, dans un acte désespéré, les frondeurs réussirent à faire assassiner la nouvelle Reine, laissant un jeune Roi maître d'un royaume revenu au calme, mais célibataire.
-Vous semblez bien songeuse, maîtresse.
Reconnectant à la réalité, je tournais la tête vers la vieille Marthe, assise en face de moi, qui venait de m’interpeller. La vieille servante, qui m'avait servi de gouvernante étant jeune enfant, avait insisté pour m'accompagner à la capitale, afin de pouvoir se mettre au service de ma Grande-Tante, notre future hôtesse, qu'elle avait servis il y a longtemps. A côté de nous deux, bercés par le lent cahotement du carrosse, somnolaient en ronflant Grégoire et Marise. Tout ce petit monde formait, avec Michon conduisant les chevaux, ma suite pour mes aventures à la capitale. Nos hommes d'armes avaient pour mission de revenir auprès de ma demi-sœur en Soulogne une fois notre escorte terminée.
-Vous pensez à la Soulogne, j'imagine. Et vous la regrettez. A moins que ce ne soit votre demi-sœur qui hante vos esprits ?
-Je te savais perspicace, Marthe, mais serais-tu voyante ? Quoiqu'il en soit, je te prie de l'être un peu moins dans les temps à venir, étant donné la situation...
-Ne vous en faite pas, maîtresse. La perspicacité, comme vous le dite, nécessite de l'intelligence. Et il me semble en être un temps soit peu dotée. Et être capable de savoir quand dire telle ou telle chose, et quand ne pas le dire.
-Je n'en attendais pas moins de toi, Marthe. A partir de maintenant, depuis notre départ de Soulogne en fait, je te rappelle que ma demi-sœur n'existe plus. Qu'elle n'a jamais existé. Que JE suis ma demi-sœur.
-Je ne le sais que trop bien. Je ne l'ai d'ailleurs que toujours su. C'est pourquoi je suis partis de Soulogne pour accompagner Anne de Pont-Sainte-Croix, baronne de Soulogne, pour son périple à la capitale.
Le sourire entendu de Marthe me fit comprendre que le message était passé. Je savais que Marthe était trop intelligente pour trahir le secret. Que si elle n'avait jamais aimé ni été dans les bonnes grâces de ma demi-sœur, et avait sauté sur la première occasion pour s'en éloigner, elle tenait trop à moi pour me nuire.
Ma demi-sœur...
Anne de Pont-Sainte-Croix. Baronne de Soulogne depuis que notre très cher père était passé de vie à trépas. En tant que victime des purges qui suivirent la fin de la fronde et la reprise en main énergique du royaume par le jeune Roi. Car notre baronnie s'était trouvée du côté des perdants lors de cette période trouble. Car notre père, pourtant homme bon, généreux et respectueux envers tout un chacun, juste et intègre, s'était trouvé en présence de personnes suffisamment habiles, manipulatrices et machiavéliques pour appuyer sur les quelques réserves qu'il avait contre la politique de l'ancien Roi et le faire basculer du côté des frondeurs.
Ma demi-sœur...
Agée de seulement un an de plus que moi, qui avait eu la chance de naître de la bonne mère, alors épouse de mon père, issue de la noblesse du comté du Preche, mais qui était morte en accouchant.
Tandis que j'étais née de la maîtresse favorite de mon père, simple roturière, alors qu'elle n'était pas encore sa seconde femme.
Ma demi-sœur...
Nous avions grandis toutes les deux sous le regard d'un père aimant et protecteur, et une mère-belle-mère proche des deux filles sans qu'elle ne m'accorde aucun privilège du fait d'être sa fille biologique. Notre père ne pu avoir d'autre enfant de ma mère, et nous restâmes donc ces deux seules enfants chéries.
Nous étions proches et complices, et si nos caractères étaient différents, nous nous ressemblions suffisamment pour abuser nos gouvernantes et jouer à se faire passer l'une pour l'autre. Si notre père avait été clair, dès que nous fûmes en age de comprendre, à propos de la priorité sur l'héritage du titre de la baronnie de Soulogne à sa mort, étant entendu qu'il irait à ma sœur en tant qu’aînée et issue d'une filiation complètement noble, aucun sentiment d'animosité ou de convoitise ne naquit entre nous.
Nous vécûmes ainsi, heureuses et insouciantes, jusqu'à ce que la fronde n'éclate, et que, pour des raisons de sécurité, notre père n'envoyât ma sœur, alors âgée de 10 ans, munie de document attestant de son identité, chez des amis sûrs en royaume d'Albion.
Du fait de notre sexe et de la situation de ma mère, peu de gens en dehors de la baronnie ne s'intéressaient au nombre d'enfant de notre père. Et, grâce à la ressemblance physique, il ne fut pas compliqué de me faire passer pour ma demi-sœur, afin que la noblesse d'état ne se rende compte de rien. C'est ainsi que je devins alors, pour la première fois, à l'âge de 9 ans, Anne de Pont-Sainte-Croix.
Ma demi-sœur...
Les contacts furent rompu à partir de là. Etant donné la période de troubles dans le royaume, les communications avec les royaumes étrangers étaient rendu compliquées. Si notre père réussit à garder une relation épistolaire très ponctuelle avec Anne, il ne me fut pas possible de pouvoir moi-même lui envoyer de communication écrite. Et toute visite physique était inenvisageable.
Je continuais donc de grandir sous une identité et en jouant un rôle qui, je le savais, ne serait pas le mien ad vitam aeternam, et coupée d'une amie chère, issue de la même chaire, qui me manquait alors profondément.
Puis, après dix ans de troubles, il y a deux ans, la fronde se termina. Notre père fut arrêté et condamné à mort en tant que participant actif au mouvement contestataire. Et ma demi-sœur rentra de son exil le jour de l’exécution, revenant ainsi prendre le rôle et le titre qui étaient siens.
Les retrouvailles furent tristes étant donné le contexte, mais surtout froides et déconcertantes. Après dix ans d'absence et d'éloignement, ma demi-sœur avait acquis une certaine distance avec son royaume d'appartenance, ses terres, et surtout sa propre famille.
Elle pleura certes la mort de notre père, mais ses larmes furent brèves et ses yeux vite secs.
Elle me prit dans ses bras, mais l'étreinte ne dura pas. Et sa joie de me retrouver ne semblait pas aussi grande que la mienne de la revoir.
Elle s'adressa en privée avec ma mère, lui indiquant que, dans sa magnanimité, elle acceptait de ne pas la chasser du château, mais qu'elle reviendrait au rôle de servante qu'elle avait quitté en épousant feu notre père.
Visitant les terres qui étaient maintenant siennes, elle s'affirma comme nouvelle maîtresse des lieux avec une froideur et un orgueil qui tranchait avec la chaleur qu'imprimait jadis notre père dans ces occasions.
Et finalement, elle installa au château une rigueur et une absence d'émotion qui finirent d'acter le changement de gouvernance.
Ces dix années hors de chez nous l'avaient changées. Certes, nous nous ressemblions encore suffisamment physiquement pour pouvoir tromper des personnes ne nous ayant vu que quelques fois, même si son visage s'était durci, lui donnait l'impression d'un rapace scrutant sa proie.
Mais nos différences de tempérament s'étaient fortement éloignés, son sérieux, son arrogance et ses manières autoritaires lui forgeant un caractère bien plus froid et colérique que celui de gentille petite fille que me garantissait ma bonhomie, ma douceur et mon léger manque de confiance en moi.
Elle était également revenue en parlant une nouvelle langue que personne dans la baronnie, et peu de personne dans le royaume tout entier, ne comprenait.
Mais elle était surtout revenu avec un albionais, semblant être devenu son âme damnée et auquel elle se fiait pour toute les décisions économiques, administratives et politiques qui s'imposaient à elle.
Erwin, qui comprenait mal notre langue mais avec qui elle pouvait converser dans une langue qu'eux deux pouvaient comprendre ; dont le caractère froid et calculateur avait, semble-t-il, complètement déteint sur ma demi-sœur ; et dont on ne savait précisément quel rôle il jouait exactement auprès et pour elle. Personne n'avait notamment pu savoir, d'une quelconque manière que ce soit, si leur relation s'arrêtait aux tâches de gestion de la baronnie, ou si elle se poursuivait dans un lit commun.
Une bouffée d'odeur nauséabonde effleura mes narines. Reconnectant à la réalité, je regardais dehors. Nous étions arrêtés aux portes de ce qui semblait être un petit village. Un grognement, quelqu'un cria. Un coup de fouet, la voie de Michon, et le carrosse qui s’avança lentement, passant devant une file de paysans nous regardant d'un air mécontent. Après quelque seconde, le carrosse s'arrêta de nouveau au milieu de ce qui semblait être le village, sûrement un simple relais de poste, tandis que Michon parlait à une personne, sans que le brouhaha ambiant ne me permette de savoir ce qu'il se disait. Un cliquetis se fit entendre, avant qu'un homme en arme, tenant une sorte de fourche en métal et avec un sabre au ceinturon, n'apparaisse à la fenêtre :
-Bien le bonjour, gente dame. Pour des raisons de protection de la capitale en cette période d'afflux massif, nous contrôlons l'ensemble des personnes qui veulent s'y rendre. Votre cocher me fait savoir que votre venue est motivée par l'invitation du Roi pour la période de festivités qui s'ouvre. Auriez-vous dans ce cas l'amabilité de pouvoir me présenter la missive d'invitation de notre bien aimé souverain ?
-Oui... oui, bien... bien sûr, tout à fait, répondis-je nerveusement, prise au dépourvu.
Je savais avoir emporté cette missive avec nos bagages, mais n'avais aucune idée d'où elle avait pu être rangée. Jusqu'à ce qu'elle apparaisse comme par magie devant mon nez, tenue à bout de bras par une Marthe souriante.
-Tenez mon enfant.
Je lui arrachais, sans le vouloir, le document des mains pour le donner en tremblotant à l'homme en arme. Il pris la missive en souriant et dit, tout en la déroulant :
-Ne vous affolez pas, gente dame, la compagnie des mousquetaires du Roi n'a pas pour mission de terroriser les honnêtes gens, mais bien de les protéger. Vous n'aurez rien à craindre de nous si vous n'avez rien à vous reprocher.
Il lut la lettre, la ré-enroula et me la retendit avec un sourire :
-Tout est en ordre gente dame, je ne vous fais pas attendre plus que de mesure.
Il se tourna vers l'avant du carrosse et cria:
-Laissez passer le carrosse, tout est en ordre !
Le carrosse redémarra, passa devant le mousquetaire qui ramassait le mousquet qu'il avait laissé de côté, devant des barrières en bois gardés par d'autres hommes d'armes, devant les dernier bâtiments du relais de poste, avant de reprendre sa route vers la capitale le long d'un chemin de nouveau entouré de champs. Grégoire et Marise ronflaient encore.
-Nous ne devons plus être très loin de l'arrivée, je suppose qu'il s'agissait du dernier relais de poste avant la capitale.
-Je pense que tu as raison, Marthe. J'ai hâte d'arriver à destination pour pouvoir me dégourdir les jambes !
-Ihih, il faudrait aussi que vous vous dégourdissiez l'esprit, maîtresse. Vous semblez bien trop perdue dans vos pensées ces dernières heures. Est-ce l'année qui vous attend qui vous rend si anxieuse ?
-Je suppose...
L'année de festivités. Le Grand Bal du Roi. L'invitation express du Roi, pour une année de festivités dans la capitale, avec en point d'orgue un Grand Bal organisé au frais de la couronne, en présence du Roi même, qui pourrait d'ailleurs participer aux danses, dans un lieu encore tenu secret mais annoncé comme grandiose...
La missive était parvenue à l'ensemble des duchés, comté et baronnies du royaume il y avait deux mois. Pas de doute, il s'agissait bien d'une authentique missive royale, et si elle parlait d'invitation, il y était clairement sous-entendu qu'il valait mieux ne pas y répondre défavorablement.
Pour fêter les cinq ans de sa majorité, pour permettre à la noblesse du royaume de se retrouver après la période troublée qui venait de s'achever et panser les plaies de la purge qui s'était faite auprès des participants à la fronde, le Roi conviait l'ensemble des Ducs et Duchesses, Marquis et Marquises, Comtes et Comtesses, Vicomtes et Vicomtesses, Barons et Baronnes du royaume pour une année de festivités à la capitale, qui commencerait en août et se terminerait en août de l'année suivante par un Grand Bal organisé par le Roi lui-même dans un lieu grandiose qui annoncerait des jours fastes et heureux pour le royaume. L'année de festivité toute entière se ferait sous l'égide du bien aimé Roi suzerain. Le Roi invite également chaque Ducs et Duchesses, Marquis et Marquises, Comtes et Comtesses, Vicomtes et Vicomtesses, Barons et Baronnes à amener avec eux leur fils et filles célibataires si ils n'ont pas plus de 25 ans.
La missive eu pour conséquence plusieurs réunions entre Anne, Erwin et moi-même, et sûrement d'autres réunions entre les deux sans que je ne sois conviée.
Depuis deux ans qu'elle était revenue, nous n'avions pas forcément reçu suffisamment de visites de nobles susceptibles de se retrouver conviés à l'année de festivités pour détecter une nouvelle usurpation d'identité de la part de notre baronnie. D'autant que les gens se souviendraient peut-être plus facilement de moi comme Anne de Pont-Sainte-Croix, ayant endossé le rôle pendant dix ans lors desquels j'avais effectivement pu être en relation avec un certain nombre d'autres nobles venus visiter nos terres.
Je supposais également que, sans qu'elle ne me l'ait explicitement dit, ma demi-sœur craignit qu'il puisse s'agir d'une éventuelle nouvelle mesure de représailles contre les fiefs anciennement frondeurs, malgré l'exécution des têtes dirigeantes.
Sans que le choix ne me fut réellement laissé, il fut donc acté que ce serait moi qui endosserait le rôle d'Anne de Pont-Sainte-Croix, Baronne de Soulogne, pour cette année à venir, tout en me voyant adjoint une mission secrète autre que celle de seulement représenter la baronnie.
« Et peut-être pourras-tu même finir dans le lit de notre bien aimé suzerain » me fit remarquer ma demi-sœur, avec un de ses si rares sourires depuis qu'elle était revenue.
Cela me permettait surtout de quitter le château de Soulogne, devenu bien lugubre depuis deux ans.
-On est arrivé, bailla Grégoire.
Je reconnectais encore une fois à la réalité : de très haut murs, immenses, que nous franchissions en passant sous des herses acérées ; une odeur âcre et forte qui envahit mes narines ; des voies, des cris, des bêlements, un brouhaha sans nom, une cacophonie aux oreilles ; une luminosité qui tomba brusquement une fois le mur d'enceinte passé ; des gens, d'autres, partout, partout, un fourmillement, une marée, Michon criant et donnant des coups de fouet pour pouvoir passer, nos hommes d'armes tentant de forcer la marée humaine ; la chaleur ; la tête qui tournait ; -Vous n'allez pas bien maitresse ? ; qui tournait ; qui tournait...
On me tapotait le visage. Marthe me tapotait le visage, tandis que Grégoire me soufflait dessus.
-On dirait qu'elle reprend s'est esprits.
Mes paupières papillonnèrent. Ma vue se stabilisa. Je vis les visages inquiets de Marthe et Grégoire.
-Vous avez fait un malaise en entrant en ville, mon enfant.
Je regardai Marthe.
-Où... ?
-Nous sommes arrivez à bon port. Nous sommes chez votre Grande-Tante. Il n'a pas été facile de se glisser jusque là, mais c'est fait. Heureusement que vous n'avez rien vu...
Marthe pesta.
-Mon enfaaaant ! Enfiiiiinnnnnn !
Je vis ma grande-tante sur le pas de sa maison particulière, entrant dans la cour pour venir vers le carrosse.
-Et on me dit que vous avez fait un malaiiiiiise ! Palsaaaaaaambleu !
Elle s'était pouponné et vêtue d'une robe peut-être un peu trop encombrante pour se déplacer sur du gravier. Je descendis du carrosse, aidé par Marthe. Je me rendis compte avec angoisse que nous n'en avions pas parlé avec ma demi-sœur avant mon départ : savait-elle pour le changement d'identité ?
-Ma petite Aaaaaaaaanne ! me fit-elle avec un clin d’œil, avant de me prendre dans ses bras et de m'embrasser.
Elle savait.
Après mon père et ma mère, et ma demi-sœur avant qu'elle ne parte en exil caché, Grande-tante était la personne de la famille pour qui j'avais la plus grande …