Noir. Elle ne comprend pas ce qui se passe. Noir. Qu’a-elle fait ? La panique commence à l’envahir. Elle ne sent plus son corps, n’entend plus son cœur, ne resp…
— Petite Zoé ? Pourquoi tu m’appelles comme ça ?
Zoé avait froncé les sourcils, presque agressive. Maman m’appelle comme l’Arbre...
— Tout doux, Zoé ! Excuse-moi, ma grande… je pensais à Lucie. Elle t’appelait sa petite Zoé quand tu étais toute petite… Je t’avoue que je n’aimais pas trop… parce que tu étais MA petite Zoé. Ça ne fait que trois mois, tu sais, c’est tellement dur…
— Pour moi aussi…
La disparition de Tante Lucie avait laissé un vide béant pour sa sœur bien sûr, mais encore plus pour Zoé avec qui elle était liée par une permanente complicité.
— Dis, je suis partie longtemps ?
— Partie ? Mais tu as juste fait un petit câlin à cet immense arbre. Pardonne-moi, je t’ai suivie parce que j’étais inquiète. Tu paraissais bizarre tout à l’heure. Tu sais, nous faisions ça aussi quand nous étions gosses avec Lulu. Des câlins aux arbres. Elle a continué d’ailleurs. Quelle fofolle quand j’y pense !
Est-ce toi ou non, celle que je cherche, Maman ? Calme-toi avant de parler. Zoé pose la main sur l’écorce comme pour y chercher du soutien.
— Maman... Es-tu une dryade ?
— Une quoi ? Ah non, tu ne vas pas remettre ça avec tes contes et ta mythologie. Viens, on rentre, s’il-te-plaît.
C’était comme si Zoé avait rappelé à sa mère un souvenir agaçant mais insaisissable.
— Mais, tu es d’accord qu’il faut protéger les arbres ?
— Bien sûr. D’ailleurs, ils le disent tout le temps à la télé que les arbres sont les poumons de la planète. Après, il faut aussi du bois pour construire des choses…
Tout en marchant, elle allait mettre sa main dans celle de sa mère, bien qu’elle pensât que ce n’était plus de son âge, mais cette dernière remarque lui inspira une instinctive répulsion qui lui fit faire un infime pas de côté. Qu’est-ce qui m’arrive ? Oh, Zoé, c’est Maman ! Elle tenta de n’en rien laisser paraître et tenta de dissiper la tension qui était apparue.
— Imaginons que je sois une super-héroïne dont la mission est de sauver les arbres. Est-ce que Woodgirl est un nom qui sonnerait bien ?
— Ah non, c’est trop naze, ma zozotte ! Qui va aller au cinéma pour te voir sauver des sapins de Noël avec une cape de feuilles mortes ? Et ce serait quoi ton super-pouvoir ?
— Je sais pas… Parler aux arbres ?
— Laisse tomber.
Elle détestait ce sentiment nouveau. Quelque chose qui lui était inconcevable avant sa visite à l’Arbre : être déçue par sa mère.
— Tu ressembles à ta tante, tiens. Toujours à rêver à des choses impossibles… Ce qu’elle me manque, ma Lulu ! Je n’ai même pas encore eu le courage de déballer le carton avec son journal et ses cahiers. Des cahiers ?
— Quel journal ? Quels cahiers ?
— Lulu écrivait tout le temps et je n’avais jamais le droit de lire. Peut-être que je n’en ai pas plus le droit maintenant… A toi, elle ne t’a jamais rien interdit, non ? Sa chouchoute ! Peut-être que tu...
— D’accord !
Zoé avait répondu avec le cœur. Ces cahiers étaient peut-être sa seule chance d’en comprendre rapidement un peu plus si ce qu’elle pensait se révélait exact.
— Dis, tu crois qu’une dryade peut mourir ?
— Zoé. Non. Ça ne me fait pas rire.
Toutes les affaires de Tante Lucie traînaient dans le garage et le père de Zoé aurait bien aimer faire de la place. Zoé n’eut pas l’autorisation de s’y attaquer avant le lendemain après-midi. Ça avait été tellement bizarre de reprendre le bus, de revoir tous ceux à quoi elle avait mentalement fait ses adieux. Mathilde a dû me trouver débile quand je l’ai serrée dans mes bras ! Elle avait finalement eut raison sauf que l’Arbre ne l’avait pas fait traverser ; il l’avait renvoyée chez elle. Qui pouvait traverser ? Qui avait ce droit ? Patience, elle avait des choses à apprendre. Il lui fallut encore attendre que son père quittât le garage pour être enfin seule et se mettre sur la piste de Lucie. Ce n’étaient jamais que quatre gros cartons car elle ne possédait pas grand-chose. Un carton de vêtements, genre pantalons cargos et débardeurs. Un carton de bouquins, bien trop lourd pour que Zoé le déplace. Un carton d’outils dont Zoé n’avait aucune idée de l’usage qui devait en être fait. Enfin, le carton marqué Personnel qui contenait le trésor de Tante Lucie. L’héritage de Tante Lucie. Ces cartons étaient déjà là avant qu’elle ne disparaisse puisqu’elle était entre deux appartements. Comme souvent car elle ne tenait pas en place. Le carton qui intéressait Zoé était fermé avec une double bande de ruban adhésif. Une lame de cutter en vint à bout sans effort. Sur le revers de tous les rabats était inscrit ceci : « Si vous n’êtes pas ma nièce Zoé, refermez ce carton, il n’y a rien ici pour vous ! ». Zoé ne put réprimer ses larmes. Elle aurait tant aimer serrer sa tante dans ses bras à ce moment précis. Au-dessus de la pile de cahiers, une enveloppe blanche sans inscription. A l’intérieur, une feuille avec seulement quelques lignes. « Zoé, si je ne reviens pas, ces cahiers sont pour toi. Les réponses à tes questions ne s’y trouvent pas mais ils contiennent quantités de chemins qui t’y mèneront. Je t’aime. Lucie. ». Oh, Tante Lucie… De nouveau, ses yeux verts s’emplirent de chagrin liquide.
Zoé feuilleta rapidement le journal. La dernière date remontait à un an. Normal, elle devait avoir avec elle le journal en cours. C’est ce qu’elle devrait lire en premier. Puis les cahiers. Des contes. Des contes dont certains – elle reconnaissait les titres – figuraient dans de vieux livres de la bibliothèque municipale. Pourquoi Tante Lucie a-t-elle recopié ces textes ? A moins qu’elle n’en soit l’autrice ? Mais comment alors ces histoires auraient-elles été imprimées il y a presque cent ans ? Il y avait aussi d’autres contes qui semblaient parler d’autres arbres, arbres-portes, arbres-frontières, arbres-passages ouvrant eux aussi vers d’autres choses. Elle devrait tout lire en détails mais il semblait que ces arbres si semblables à son Arbre était tout comme lui en danger.
Le journal ne paraissait pas finalement si intéressant a priori. C’était plutôt une sorte de répertoire avec des lieux, récemment des coordonnées GPS, des noms, des adresses, des numéros de téléphone. Uniquement des femmes. En remontant le temps, quelques notes plus personnelles parfois très émouvantes. Le renoncement à un amour. Un petit larcin chez le pépiniériste. Un mensonge à la mère de Zoé. Une dispute avec sa grand-mère. Le jour de la naissance de celle-ci, ces simples mots : « C’est elle, j’en suis sûre. Je suis si heureuse ! Agathe n’a pas voulu l’appeler Nemusa comme je l’avais suggéré mais ce n’est pas grave. » Malgré l’émotion, les derniers mots lui glacent le sang : « L’Arbre sera satisfait… et je serai libre. » Tante Lucie est la dryade, c’est certain. Zoé feuillette frénétiquement l’épais carnet à la recherche d’autres révélations comme celle-ci dans les premières pages. « L’arbre a choisi et c’est moi qui serait sa gardienne. Agathe oubliera tout. Il a dit qu’elle serait simplement humaine alors que mon être végétal allait se développer. Qui vais-je devenir ? A quoi me suis-je engagée ? ».
— Alors, Tu t’en sors ? C’est intéressant ?
Sa mère se penche sur elle. Zoé reste interdite. Maman n’a pas été choisi par l’Arbre. Comment parler ? Comment demander de l’aide à celle que l’Arbre a renié il y a des années ? Maman, qui suis-je ?
— J’espère qu’elle ne te monte pas la tête avec ses histoires de créatures végétales et autres délires !
— Maman… Ce sont juste des contes.
Puis Agathe enchaîna sur d’autres sujets tellement insignifiants pour Zoé maintenant, le collège évidemment, le piano, les entraînements d’athlétisme, les croquettes pour Forêt… Tout en répondant par des monosyllabes distraites, elle continua son exploration aléatoire du journal tout en réfléchissant et en échafaudant des hypothèses. Lucie n’est pas morte ; elle est juste partie. Les femmes du répertoire sont les autres dryades et elle a pour mission de les unir pour sauver tous les Arbres menacés, pour permettre à nouveau le passage vers les autres mondes. Elle n’en savait rien. Elle le ressentait juste. Une certitude qui lui commandait de retourner vers l’Arbre.
Sa mère en était à lui demander de l’aide pour les croque-monsieurs du soir quand Zoé la bouscula pour s’enfuir vers la forêt, les yeux noyés et le souffle court. Je dois le voir, je dois lui parler. Elle courut sans s’arrêter, sans ralentir jusqu’à l’Arbre au pied duquel elle s’effondra. Elle ne se remit même pas débout, restant à genoux, inspirant le peu d’air qui acceptait encore d’entrer dans ses poumons et colla ses mains sur l’écorce de l’Arbre. Ses sanglots se répercutaient dans ses bras comme un massage pour ranimer le cœur qui ne battait pas, ni ne battait plus de l’autre côté, tandis que le sien déchirait sa poitrine pour en sortir. Ouvre-toi ! Parle-moi ! Ne me laisse pas seule… Les mains posées à plat se font poings pour frapper et meurtrir l’écorce autant que sa peau. Parle-moi, je t’en supplie ! Rien. Rien qu’un arbre comme les autres dont seule la majesté le distinguait de ses voisins.
Elle se sentait perdue et trahie. Par l’Arbre qui l’ignorait. Par Tante Lucie qui avait disparu. Par sa mère qui lui devenait étrangère. Il lui fallut une bonne heure pour recouvrer son calme et être capable de remettre les choses à leurs places. De se remémorer les paroles de l’Arbre. Nous nous retrouverons la prochaine fois que la lune sera dans son périgée. Presque quatre semaines à attendre… Elle reprit le chemin de la maison et évita soigneusement ses parents discutant dans la cuisine. Elle retourna directement dans le garage et reprit la lecture du journal de Tante Lucie à la lumière de la baladeuse de son père. Sa course, sa colère, ses pleurs, tout ça lui avait fait du bien, l’avait vidée. Elle se sentait plus ouverte aux révélations du journal. Beaucoup de passages lui étaient incompréhensibles mais elle essayait d’y trouver des indices à confronter avec sa théorie du départ de sa tante. Et ce qu’elle lisait ne démentait pas ses spéculations.
« Je savais que le moment viendrait mais je pensais qu’il y aurait une autre solution. L’Arbre m’a libérée pour porter son message à travers le monde et pour établir la grande connexion de toutes les portes. Zoé est prête ou le sera d’ici quelques mois, je le sais, mais le sacrifice que je lui impose m’oblige à réussir parce qu’il n’est pas envisageable qu’elle périsse. Malgré sa sagesse, l’Arbre a peur. S’il accepte de me laisser partir pour les sauver tous, il exige que celle qui prendra ma place soit… une hamadryade. » Oh non...
Incollable sur toutes les mythologies, Zoé connaissait ce terme mais...
— Ah, ben tu es là, ma zozotte ! Tu t’es enfuie comme si tu avais la mort aux trousses !
… pour l’heure, elle n’était plus qu’une petite fille effrayée qui se jetait dans les bras de sa mère en pleurant les larmes qui lui restaient.
4 semaines plus tard Zoé était à genoux devant l’arbre majestueux, comme tous les jours précédent, elle attendait les yeux fermés, elle &eacut…