Salutations à tout·e·s, Êtes-vous prêt·e·s à vous lancer dans une aventure littéraire hors du commun ? 🚀 The Root Book lance son premier…
Tim‑Oh avance d'un bon pas. Il est rodé à ce sentier escarpé qui mène jusqu'à l'Arbre. Il est le Gardien, seul autorisé à venir ici. Il occupe cette fonction depuis cinq ans déjà. La tâche est bénévole mais lui plaît, il ne s'est jamais senti autant utile que ces dernières années, et cela l'aide à combler le vide laissé par le décès de sa compagne Lise‑Hâ.
Il arrive au faîte de la colline. L'Arbre étend ses ramures vers le sol. Peu de feuilles sur les branches mais une multitude de ce qui ressemble à des pots attachés au bois par une tige souple. Le vent est doux mais suffisamment puissant pour faire s'entrechoquer les pots et créer un tintement constant, comme le ferait un gigantesque carillon de bambou.
Tim‑Oh s'approche. Les pots deviennent des calebasses, creuses pour certaines, pleines pour les autres. Ce sont les fruits de l'Arbre. Il inspecte la ramure, puis cueille tous les fruits fermés et un nombre identique de fruits ouverts, prenant soin de garder intacte la fibre ligneuse qui les relie aux branches.
Juste à côté, se trouve une cabane, Tim‑Oh y emporte sa récolte du jour. Il pousse la porte, pose son paquetage sur l'unique table et s'assoit sur l'unique chaise. Il prend une calebasse pleine et fend sa tige d'un coup de canif. Il fait de même avec un fruit creux et insère les deux tiges l'une dans l'autre. Les fibres commencent à se lier. Il répète l’opération avec tous les fruits de sa récolte et met l'ensemble dans un cageot qu'il pose sur une étagère. Il attrape une autre caisse, remplie de calebasses aux tiges parfaitement soudées, puis sort de la cabane et descend le sentier.
De retour à la cité, il commence sa tournée. Il attrape un premier fruit et le tient entre ses mains. Le nom de Ho‑Thieu apparaît dans son esprit doublé de l'image d'une fontaine. C'est tout ce qu'il aura pour trouver le destinataire, sa connaissance de la cité comblera le manque d'information.
Arrivé à la fontaine, Tim‑Oh trouve aisément la maison de Ho‑Thieu. Ce dernier prend la calebasse comme on reçoit un cadeau, la regarde longuement avant de se décider à coller la partie creuse à son oreille. Un sourire illumine alors son visage, ses yeux brillent, deux larmes perlent. Tim‑Oh sait que l’homme vit un moment heureux de son passé. Cela ne dure que quelques instants, mais pour Ho‑Thieu, nul ne saurait dire le temps qui s'est écoulé. L'horloge des souvenirs égrène les secondes d'une façon très personnelle.
Tim‑Oh ne demande aucun détail sur le contenu du message. Parfois les intéressés lui racontent, d'autres fois non. Il ne s'explique pas vraiment le phénomène des calebasses. Pourquoi les défunts communiquent-ils avec les vivants par ce biais ?
Un Arbre similaire existe sur le plus haut point de chaque cité dont les fruits se ferment lorsqu'un défunt y dépose une pensée à destination d'un vivant. Chaque Arbre a son gardien qui transmet les messages. En général, ces derniers procurent de la joie à ceux qui les reçoivent, Tim‑Oh se considère donc comme un messager du bonheur et, dans l'esprit des gens de la cité, c'est bien ce qu'il est.
Laissant Ho‑Thieu, il distribue les calebasses suivantes jusqu’à ce que son cageot soit vide. Alors seulement il rentre chez lui. Ainsi se passent les journées de Tim‑Oh.
Un soir, on frappe à sa porte, Tim‑Oh va ouvrir. C'est une femme d'une soixantaine d'années. Elle tient une calebasse dans la main.
— Maître Tim‑Oh, Gardien de l'Arbre de Lî‑Le ?
Tim‑Oh opine de la tête.
— Je suis Maître Wan‑Dâ, Gardienne de l'Arbre de Mîn‑Ter. Je viens jusqu'à vous car, étrangement, un fruit de mon Arbre vous est destiné.
La situation est particulière. Chaque Arbre ne recueille habituellement que les messages concernant sa cité, et Mîn‑Ter et à cent-dix lieues de Lî‑Le. Un long voyage déjà ! Wan‑Dâ lui donne le fruit séché. Tim‑Oh hésite quelques instants, avant d'approcher la calebasse de son visage. Il finit par coller son oreille au bois, et ce qu'il ressent fait jaillir en lui une déferlante d'émotions. C'est Lise‑Hâ qui parle comme si elle se tenait à ses côtés. Il sent son parfum mais aussi la caresse de ses doigts sur son visage… « Tim‑Oh, mon tendre amour, cela fait sept années déjà que nos regards ne se croisent plus, que nos mots ne s'échangent plus. Ne crois-tu pas qu'il est temps ? Rappelle-toi ce que nous nous sommes promis sous les cerisiers en fleur… »
Et Tim‑Oh revoit ce jour de printemps où Lise‑Hâ lui a dit « Celui de nous qui restera pourra aimer de nouveau. Cela n'enlèvera rien à notre histoire comme le nouveau chapitre d'un livre ne réduit pas les mots précédents à néant. Promettons-nous de garder notre amour dans un jardin secret et de planter juste à côté la graine d’une nouvelle histoire à naître. Pas de rancœur, juste l'acceptation de la vie qui continue pour l'un mais pas pour l'autre. Avons-nous été jaloux des rencontres que nous avons faites avant de nous connaître ? Alors, nous ne le serons pas de celles que nous ferons après. Tu devras trouver une autre Lise‑Hâ ou moi un autre Tim‑Oh et cela remplira de bonheur celui qui ne sera plus là, car le bonheur de l'un rejaillit sur l'autre ». Ils s'étaient alors embrassés pour sceller la promesse.
Ces paroles étaient prémonitoires. Deux ans plus tard, Lise‑Hâ le quittait, en douceur, comme elle avait vécu. Un matin, elle ne s'était pas réveillée, le visage serein et sa main posée sur celle de Tim‑Oh. Les médecins avaient conclu à un arrêt cardiaque mais Tim‑Oh savait bien que le cœur de Lise‑Hâ, même éteint, était de ceux qui continuaient de battre.
Il décolle la calebasse de son oreille et reprend contact avec la réalité. Wan‑Dâ attend toujours devant la porte. Tim‑Oh visualise alors le sens du message. Il regarde Wan‑Dâ que l'image de Lise‑Hâ éclipse un instant, puis Wan‑Dâ réapparait.
— Entrez, vous devez être fatiguée d'être venue jusqu'ici. Je vais faire du thé, et nous pourrons faire plus ample connaissance…
La femme hoche la tête, retire ses sandales et suit Tim-Oh. Clap-Clap, font ses pieds sur le bambou. Un son décuplé par le silence de la nuit tombée. Clap-Clap, elle a be…