Sous l'ombre d'une lune ensanglantée, les jumeaux, entités d'une monstruosité impensable, s'adonnaient à un rituel atroce : le festin du corps maternel. Dégustant s…
— Iiiiiih ! Maman !
Sheera se réveilla en sursaut.
— Maman ! appela encore sa fille.
Sheera repoussa la couverture et lança ses jambes au dehors.
— J’arrive, ma chérie.
Elle rejoignit le petit lit de l’autre côté de la pièce et s’y assit avec précaution. Elle passa la main sur le front empoissé de sueur de la fillette. Celle-ci s’agrippa à elle et posa la tête sur sa cuisse.
— Maman, j’ai fait un cauchemar, gémit-elle.
— Ce n’est rien, ma chérie. Je suis là, les démons sont partis. Tu veux me parler d’eux ?
Naela faisait beaucoup de cauchemars ces derniers temps, plus que ce qui était normal pour une enfant de trois ans. Et son père qui était parti depuis plusieurs mois commercer avec le clan voisin, enfin il ne tarderait plus désormais, il serait là d’un jour à l’autre. La dernière fois, elle avait rêvé qu’il était tombé dans un ravin, qu’il était mort mais qu’il se relevait, les dents pointues et les yeux entièrement noirs, pour venir la chercher… Où allait-elle chercher tout ça ?
— Ils sont pas partis, maman. Ils sont dehors.
Naela respirait vite et des larmes d’angoisse s’entendaient dans sa voix. Sheera respira profondément. Plus sa fille était angoissée, plus elle devait être calme.
— À quoi ressemblent-ils, ces démons ?
— Ils… ils sont dehors, maman. Et ils ont des griffes et des dents, et… ils viennent me chercheeeeeer !
La fillette éclata en sanglots, le visage enfoui dans le ventre de sa mère.
Que faire ? Jamais Naela n’avait eu de réaction aussi violente à ses cauchemars.
Respirer. Lui caresser la tête pour l’apaiser.
— Naela ? Aucun démon ne viendra te chercher, tu m’entends ? Aucun. Et tu sais pourquoi ? Parce que je suis là. Et que personne, personne ne touche à ma petite fille chérie. D’accord ? D’accord, Naela ?
La réponse lui parvint entre deux sanglots :
— Oui.
Sheera attrapa le mouchoir en fibres d’ortie sur la table de nuit.
— Alors, souffle un bon coup.
La fillette se redressa et obéit, après quoi Sheera lui sécha les yeux.
— Allez, on sèche ses larmes, et après tu sais ce qu’on va faire ? On va faire un gros dodo toutes les deux, et après tous les démons seront partis. D’accord ?
— D’accord.
Elle se blottit avec elle dans le petit lit. Elle lui embrassa le crâne et huma la forêt tiède de ses cheveux. Naela, son trésor.
Un craquement la fit rouvrir les yeux. Tout contre elle, Naela dormait paisiblement. Elle scruta la nuit qui les enveloppait. Le rayon de lune par la fenêtre, le vent dans les arbres, le hululement d’une chouette au loin, le chant des criquets… Tout était normal. Elle avait dû rêver.
Elle se laissa aller contre l’oreiller et ferma les yeux.
Craquement, à nouveau, tout près. Ce coup-ci, elle en était sûre. Elle sortit du lit en veillant à ne pas réveiller sa fille, qui se contenta de gémir dans son sommeil quand elle retira le bras qui était sous elle. Troisième craquement. Sheera respira profondément pour refouler l’angoisse qui menaçait de l’étreindre. Elle décrocha son épée du mur et la dégaina. Garde basse, à l’affût.
La voix de Naela résonna dans sa tête : « ils viennent me chercheeeeeer ! » Non, ce n’était qu’un rêve, le cauchemar d’une enfant de trois ans. Inspirer, expirer. Quoique, Sheera revit le visage creusé de rides de sa grand-mère Hilda, la main usée qui caressait la tête à peine née de Naela, « Ta fille a pris de moi, avait-elle dit. Le moment venu, ne l’oublie pas. » La vieille druidesse était morte quelques jours plus tard et Naela... Naela était normale jusqu’à ces cauchemars. Craquement encore. Une ombre bougea à la porte de la chambre. Deux ombres. Feulement. Éclat de lune sur une rangée de dents. Sheera serra les siennes et affermit sa prise sur la poignée de cuir.
Aucune aide n’était à attendre, leur maison était trop à l’écart. Et dire que la vieille Lara lui avait proposé de venir chez elle jusqu’au retour de Farell… Elle avait refusé. Et elle avait encore refusé aujourd’hui, quand Derion était venu lui dire que Lara avait été retrouvée dévorée à l’orée du bois, qu’il se passait des choses étranges, que la forêt n’était pas sûre… Lara, dévorée, comme… Inspirer, expirer. S’ils voulaient sa fille, il faudrait d’abords qu’ils composent avec elle.
Au-delà du pas de porte, les jumeaux se délectaient de la terreur instillée. Depuis leur dernier festin, ils avaient mué au profit d’une nouvelle enveloppe. Devenus …