C’était ce que, dans la région, on appelait pompeusement « un domaine ». Laissons ce terme là et admettons simplement qu’il s’agissait d’un gr…
Ce sentiment était unanime parmi les habitants. On avait même organisé une réunion d'urgence de la copropriété dans la grande salle de La Gargote, afin de discuter des mesures à prendre. Les voix s'élevaient, les tensions étaient palpables. On parlait de surveillance accrue, de caméras à installer, de groupes de vigilance à organiser. Chacun avait son idée sur la façon de démasquer le corbeau, mais tout le monde s'accordait sur un point : le temps pressait.
Cependant, malgré leur résolution commune, ils étaient tous rongés par la peur de devenir la prochaine cible. Cette peur était devenue si omniprésente qu'elle minait leur confiance mutuelle. Les anciens amis se méfiaient désormais les uns des autres, les voisins évitaient tout contact superflu. Dans cet environnement autrefois si chaleureux et accueillant, la paranoïa avait pris le dessus.
Et c'est dans ce climat de tension qu'arriva la lettre suivante du corbeau. Cette fois, la victime désignée était le gardien du domaine, Robert. Le corbeau alléguait que Robert détournait de l'argent des fonds de la copropriété pour son usage personnel, en truquant les factures des différents travaux d'entretien. Le scandale fut énorme. Malgré ses dénégations et sa défense acharnée, Robert fut licencié, le conseil de la copropriété voulant donner un exemple.
Mais cela ne fit que jeter de l'huile sur le feu. Si Robert, toujours considéré comme un pilier de la communauté, pouvait être ainsi accusé et renvoyé, alors personne n'était en sécurité. La terreur s'installa un peu plus dans le cœur des habitants du domaine.
La situation devenait insoutenable. Les conversations amicales d'autrefois avaient été remplacées par des murmures inquiets et des regards méfiants. La vie au domaine avait perdu toute sa quiétude. Même l'esplanade, autrefois lieu de rassemblement et de détente, était désormais presque déserte.
C'est alors qu'un groupe d'habitants décida d'agir. Ils se réunirent en secret et mirent au point un plan pour démasquer le corbeau. Leur stratégie consistait à poser des pièges, à surveiller les boîtes aux lettres et à interroger discrètement les suspects potentiels. Ils étaient déterminés à mettre fin à cette terreur, quel qu'en soit le prix.
La guerre était déclarée. Il ne restait plus qu'à espérer que la vérité éclaterait avant qu'il ne soit trop tard, avant que le corbeau ne réussisse à détruire ce qui restait encore de leur paisible communauté.
C'est sous la direction de Jeanne, une ancienne inspectrice de police à la retraite et résidente du domaine depuis une décennie, que ce groupe de résistants se structura. Son expérience professionnelle et son sens aigu de l'observation lui avaient déjà permis de faire un premier tri dans les suspects potentiels.
Le plan était astucieux. Les pièges seraient des lettres délibérément fausses, insérées dans certaines boîtes aux lettres, pour évaluer la réaction du corbeau. Ces lettres contiendraient des informations totalement inventées sur certains habitants. Si ces informations se retrouvaient dans la prochaine lettre du corbeau, alors cela signifierait qu'il avait ouvert ces courriers.
Pour éviter d'éveiller les soupçons, ils décidèrent de disposer les fausses lettres dans les boîtes aux lettres d'une dizaine de résidences, en prenant soin de varier les profils des personnes ciblées : des familles, des célibataires, des retraités, des nouveaux arrivants. La distribution des lettres fut organisée dans la plus grande discrétion, sous le couvert de la nuit.
La deuxième phase du plan consista à surveiller les boîtes aux lettres. Des tours de garde furent organisés, en rotation, afin de garder un œil sur les boîtes aux lettres jour et nuit. Les résidents équipés de jumelles se cachaient dans des endroits stratégiques, toujours à l’affût d'un mouvement suspect.
Ce stratagème porta ses fruits. Un matin, alors que le soleil commençait à peine à colorer le ciel, Bertrand, un des habitants assurant la surveillance, vit une silhouette s'approcher discrètement de l'une des boîtes aux lettres. C'était Julien, un habitant de la résidence, père de deux enfants et résident à l'année. Reconnu pour être un véritable bavard et un râleur invétéré, il était toujours à l’affût des potins du domaine.
Un petit quart d’heure plus tard, un Bertrand survolté tambourina à la porte de Jeanne. Dès qu’il avait aperçu Julien, il avait couru ventre à terre pou…