Le cri me fait sursauter. Je veux hurler mais un hoquet me coupe le souffle. Ma tête tourne. Et alors que le hurlement venant de je ne sais où se calme et semble se transformer en g&eacu…
Je ne suis pas folle, j’ai bien vu ces buissons bouger. Enfin, je crois. De toute façon, ce n’est certainement pas le vent qui les écartés de cette manière. Je me relève de ma position blottie contre Herta. Et ressens une douleur vive à la pointe de mon index. En m’appuyant un peu trop sur le côté de mon ami, ma peau s’est fait transpercer. Je regarde mon doigt, et découvre une goutte de sang qui se forme. Puis qui grossit comme une toute petite bulle. Quelque chose d’acéré se cache dans la tunique d’Herta. Qu’est-ce qu’elle transporte ? Je m’en occuperai plus tard.
Je me déplace vers le buisson, mais il a changé de forme le temps que j’ai été distraite. À pas feutrés, je m’avance, armée d’appréhension. Les végétaux ne donnent plus aucun signe de vie, mais j’entends mon rythme cardiaque s’accélérer. Cette forêt pleine de surprises n’a pas fini de me piéger. Je me dois de redoubler de prudence. Penchée en arrière prêt à détaler, j’écarte le feuillage du bout des doigts. Et alors, je découvre qu’il n’y a absolument rien. Ai-je rêvé ?
Je repars en arrière sans tourner le dos à ce buisson. Ne sachant pas si je suis suffisamment méfiante, ou si je deviens paranoïaque.
— Qu’est c’qui t’arrive ? Viens là !
Herta semble autant pensive que désespérée.
— J’ai cru voir bouger dans ce buisson.
— Ah… répond-elle sans le moindre intérêt.
Tandis qu’une larme zèbre le visage de mon amie, je me dis que je dois surement avoir rêvé…
— Qu’est-ce que tu as dans ta poche, Herta ?
— Qu’est ça peut te foutre ? J’ai plein d’trucs sur moi.
— Dans celle-là, je me suis piqué.
Je lui montre la goutte de sang dispersé, qui révèle mon empreinte digitale en surimpression sur du rouge.
— Ah ! fit Herta avec le commencement d’un sourire au coin d’une lèvre.
La jeune femme sort une rose de sous son pardessus. Et je la reconnais instantanément. C’est la magnifique fleur aux pétales tombants qu’il y avait chez la sorcière, prisonnière.
— Mais pourquoi est-ce que tu as ça avec toi ?
— Je sais pas, en partant j’l’ai piqué à l’horrible mamie !
— Mais pour faire quoi exactement ?
La chair de poule commence à envahir ma peau. Je ressens même une goute de sueur perler le long de ma colonne vertébrale tandis que je suis sidéré par la fleur d’apparence immortelle ; si resplendissante.
— C’était sous verre, c’était beau, et puis ça avait l’air précieux.
— Mais n’importe quoi, tu es folle ! Maintenant, elle va nous traquer pour la récupérer…
— Elle est morte non ? J’l’ai vu exploser en bouillie verte !
— J’ai peur qu’elle se soit déjà entièrement recomposée… du coup, tu l’as surement énervé !
Je me dis que je préciserai mon savoir plus tard. Nous avons des péripéties en cours, qui sont plus importantes que d’évoquer les anciennes.
— D’toute façon, elle nous avait déjà empoisonnés avant, donc bon…
D’un mouvement de tête, Herta montre le cadavre de Michon éventré. Je ne le regarde pas totalement, afin de ne pas être submergé par le dégoût.
— Oui, c’est vrai… Tu as raison, désolé.
Je rationalise grâce à sa logique. Mais pas le temps de souffler : le visage d’Herta se transforme, comme si elle venait de recevoir un coup de poing. Et ses deux mains se jettent sur son ventre.
— Herta? Herta, ça va ?
Herta commence à se rouler de douleur, incapable de me répondre.
— Qu’est-ce que je peux faire ?
— Arrache un pétale !
La voix provient de derrière moi, et elle me parait étrangement familière, un peu trop même, au point de m’inspirer le malaise. Je me retourne en douceur pour découvrir une forme dans le buisson que j’avais inspecté tout à l’heure.
Je m’avance dans l’obscurité, et discerne mieux la silhouette encapuchonnée, dans un rouge pâle, extrêmement usé par les évènements. À la fois paniquée et confiante, elle me répond que je ne dois pas trainer, je dois retirer un pétale de rose au plus vite.
— Pourquoi ?
— Si tu veux sauver ton amie…
Je ne sais pas comment agir, j’entends Herta gémir. Sans réfléchir à la situation improbable, je m’exécute. J’attrape la rose à terre, et tire avec férocité sur un pétale, qui vient avec facilité. Après tout, ce n’est qu’une fleur. À ce moment exact, un hurlement retentit, un hurlement inhumain, qui semble à kilomètre d’ici, mais dont la puissance créée une bourrasque sonore jusqu’à nos oreilles. D’une puissance à en faire trembler les arbres et leurs imposants feuillages.
Mince, c’était surement un piège ! J’ai encore été trop crédule. Je me retourne vers cette figure fantomatique, m’attendant à tout moment à découvrir un sourire machiavélique, tel un sbire de la sorcière. Pourtant le visage affiche toujours autant de bienveillance, autant pour moi que pour Herta.
— Tu as fait ce qu’il fallait, Eden !
Je reconnais mes traits, mais pas mon assurance. Qu’est-ce que je vois ? Avec qui est-ce que je parle ? Qu’est-ce qu’il se passe ? Je n’en suis sure de rien.
— Arg, cracha Herta en se redressant. Qu’ça fait putain de mal !
— C’est le pétale qui t’a guéri ?
— Le pétale qui m’a guéri ? Mais qu’est-ce qu’tu racontes pauv’ fille ?
— Le chaperon rouge m’a dit de…
— V’la qu’tu deviens folle toi. N’y a qu’un chaperon rouge par ici, et c’toi ! Bref arrête tes délires et ramène-toi, j’ai besoin de ton aide. Allez plus vite !
Je me retourne et regarde le buisson dorénavant vide. J’accours vers mon amie, et dépose un genou à terre. D’aussi près, je vois la pâleur de sa peau luire sous l’épaisse couche de transpiration qui s’écoule en continu. Elle doit sacrément déguster. La femme bourrue roule sur le côté pour fouiller son autre poche. Par réflexe, je dépose délicatement la rose, afin qu’elle ne se fasse pas écraser. Comme un sentiment qu’elle ne l’a pas volé pour rien, son importance arrivera.
Les hurlements retentissent à nouveau au sein de la forêt, et je suis sure d’une chose : ils résonnent plus proches que ce que j’ai entendu toute à l’heure. Mais je n’ai pas le loisir de m’en occuper, mon amie en sale état en appelle à mon aide.
Herta me place un couteau dentelé dans ma paume, et j’en ressens instantanément toute la lourdeur. La lame de qualité pèse de son poids dans ma main. J’ai toujours détesté les armes, je fais la moue, mais prends sur moi.
— Qu’est-ce que tu veux que je fasse de ça ?
— Ben que tu m’ouvres le bide, pauv’ fille !
— Quoi ? Mais tu es complètement folle.
Herta me fixe avec détermination :
— Quand je vois ce qu’y ai arrivé à Michon, j’pas envie de subir pareil. Alors t’m’ouvres le bide, et tu en sors cette cochonnerie avant qu’elle m’explose de l’intérieur.
Je veux protester, mais ses yeux froids comme l’acier m’empêchent d’émettre mes doutes. Herta déchire un bout de vêtement qu’elle se place dans la bouche. Elle serre les dents avec violence tout en remontant sur son ventre déjà trop tendu. Je déchiffre un « vas-y ! » étouffée.
Je déglutis avec difficulté. Mon regard croise celui du chaperon rouge, qui est quelques mètres dans le dos d’Herta, à moitié caché par un arbre. Ses deux yeux similaires aux miens me fixent avec tristesse, puis il hoche la tête solennellement.
Je sens que je vais détester les prochains instants…
Je plaque ma main gauche sur la bouche d'Herta et sens ses lèvres bouger sous ma main moite. Je tiens fermement le couteau de ma main droite. Pas être si ferme que ça, vu comment …