Il doit sans doute avoir raison. À contrecœur, je capitule. Je traverse le hall, mon esprit revivant une multitude de matins passés. Je m’assieds sur notre banc d’entr…
Une petite tête blonde aux yeux bleus débarque dans un brusque vacarme depuis les escaliers. Nico replonge son attention sur ses tartines, toutefois son regard a toujours cette teinte trop sombre.
- Maman ! Je trouve plus mes chaussures !
Camille se dandine devant moi, en chaussettes, le pull à l’envers. Bien sûr que la couleur de son haut est importante. Bleu. Avec une phrase niaise dans le dos et des étoiles blanches un peu partout, mais bleu.
- Elles sont sous ton lit, avec celles de ton frère, crache Nico avant de mordre dans son pain dégoulinant de confiture.
La gamine repart à l’étage avec le même empressement que pour son arrivée. Je déteste quand elle court dans les couloirs comme elle le fait tout le temps. C’est dangereux.
Ma main passe machinalement dans mes cheveux, restés coincés dans les plis de mon écharpe. Nico ne dit plus rien, la radio déverse son flot d’informations matinales. Je déteste ça.
- Mon chéri ?
- Tu vas finir par être en retard !
Son ton me glace le sang. Je rate un battement de cœur. J’abandonne.
Dans l’entrée de notre maison, trône un immense miroir dont le cadre a été repeint, par mes soins, en bleu-gris. Je me dirige vers la porte d’entrée et y aperçoit mon reflet ; il ne semble pas différent des autres matins, même si l’on peut facilement se rendre compte que mes cernes grignotent chaque jour un peu plus mes joues. Cette histoire de tasse se joue encore dans le fond mes pupilles.
Ce n’est pas normal.
Je n’ai jamais eu de tasse rouge. Je déteste le rouge.
Et Nico n’écoute jamais la radio le matin. Il dit toujours que les premières nouvelles de la journée ne sont jamais bonnes.
Avec une douceur proche de l’apathie, je retourne dans la cuisine. Il n’a pas bougé de sa chaise. Ni bu son café. Une sensation de malaise me scie l’estomac, j’en ai la chair de poule. Ce n’est plus juste une question de couleur ou de radio. Il y a pire encore. Je l’ai compris devant ce foutu miroir.
Je reste dans l’angle-mort de mon mari, juste dans son dos, comme si j’avais soudainement peur de voir son visage et cette expression de poupée de cire figée. Je pose mes doigts sur ses épaules.
- Nicolas.
- Encore là ? Tu tiens vraiment à arriver après…
- Qu’as-tu dit à Camille tout à l’heure ?
Il se crispe aussitôt, sa tête ne scille pas.
- D’aller se brosser les dents ?
Sa voix se couvre d’un voile que je ne connaissais pas jusqu’alors.
- Non. Par rapport à ses chaussures. Tu as dit qu’elles étaient…
Un silence.
- Sous son lit.
- Avec celles de son frère, n’est-ce pas ?
Et nous savons tous les deux qu’il y a pire, que quelque chose va vraiment de travers ce lundi matin.
Puisque Camille a une grande sœur.
La sensation de froid sur ma peau s’intensifie à la mention de ce « frère » imaginaire. Nico ne parvient pas à répondre, son visage pâ…