Avec une coupe de champagne à la main, je refusais le deuxième serveur à se présenter à moi. D’une seule main, l’homme en tenue de soirée transpo…
Cinq minutes se sont écoulées durant lesquelles je n’ai eu de cesse de chercher la femme en mauve du regard. En vain. Je n’ai envie de parler à personne, je veux juste la revoir. Pour éviter d’avoir à faire la conversation à une meute de cadres de l’entreprise qui viennent vers moi, je saisis une demi-douzaine de canapés à la crevette sur un plateau qui passe à ma portée. Je les boulotte et sers un sourire hypocrite à ceux qui m’abordent. Ils semblent s’en satisfaire et, après quelques paroles creuses que je ne fais même pas l’effort d’écouter, s’éloignent.
Un type portant queue de pie et souliers vernis s’installe derrière le pupitre. Le menton haut et le torse bombé de fierté, il se lance avec emphase. À cet instant, tout le monde s’est tourné vers lui, même les serveurs oublient quelques secondes leurs tâches et cèdent à la curiosité. En ce qui me concerne, j’ai migré discrètement vers le fond de la salle. En quelques pas j’atteins la porte de l’escalier. Je monte quatre à quatre les volées de marches qui me séparent, cinq étages plus haut, du toit. Arrivé sur le dernier hors d’haleine, je patiente quelques instants devant la porte restée entrouverte. Tout laisse à penser que la femme en mauve est déjà là et je ne compte pas me présenter à elle en soufflant comme un bœuf.
Quand je pousse la porte, je la vois. À l’autre bout du toit-terrasse, elle est debout sur le parapet et contemple la ville à ses pieds. Une brise légère fait voleter sa robe et ses cheveux, et porte son parfum capiteux jusqu’à mes narines. Elle se retourne alors, plonge son regard dans le mien et tends une main vers moi.
Il y a tant de questions que j’aimerais lui poser, tant de choses que je voudrais apprendre à son sujet.
— Qui es-tu ?
Son sourire énigmatique est la seule réponse que je reçois. Je saisis sa main et la rejoins sur le muret. Tout autour de nous, ma métropole s’étale comme une toile impressionniste en mouvement. À cette heure avancée, les phares des voitures, les réverbères, les fenêtres des appartements et les enseignes des boutiques sont autant de touches de peinture qui composent se tableau de lumière. C’est magnifique.
— Pourquoi ai-je l’impression de te connaître ?
Gardant ma main dans la sienne, elle se rapproche d’un pas.
— Je suis l’amie la plus fidèle que tu n’auras jamais. Je suis celle qui est à l’heure pour le rendez-vous le plus important de ta vie. Je suis le dernier visage qui te sourira quand tes yeux se fermeront.
— Je… je ne comprends pas bien.
— Bien sûr que si ! Tu comprends parfaitement. N’aie pas peur, je suis là pour toi, mon chéri. Tu ne souffriras pas. Tout s’est déjà produit.
— Quoi ?
— C’étaient les crevettes. Tu ne pouvais pas savoir. Les allergies sont si imprévisibles. Le choc anaphylactique a été d’une rare violence. Arrêt cardiaque. L’autre raseur monopolisait l’attention du public et personne ne t’a vu t’écrouler. Tu es mort, mon chéri. C’est fini.
Mes yeux s’embuent à mesure que je prends conscience de la situation. La femme en mauve rapproche encore son visage du mien et pose sur mes lèvres un baiser tiède. Je me sens léger, en paix.
— Viens, je t’emmène.
Je tiens toujours sa main et nous avançons dans le vide. Nous marchons dans la nuit, au-dessus de la ville qui scintille et s’estompe peu à peu sous nos pas.
La sensation de flotter est étrangement agréable. Chaque pas que nous faisons semble nous élever un peu plus haut, au-dessus de la ville, au-dessus des nuages, jusqu'à ce …
Dans la seconde qui suit, j’aperçois un écrin nacré, en forme d’entonnoir, avec une flaque d’eau au fond, tranquille et claire. Je m’approche dans les cer…