L’extravagance du rêve atteint son acmé et il explose au moment où le réveil se met à hurler sur la table de nuit. Et aussi brutalement qu'une lumière s…
Dès cet instant, je perçois derrière ses traits un secret enfoui. L’atmosphère de la pièce devient lourde, chargée de non-dits.
— Non, murmure-t-elle, la panique voilant ses yeux.
Je me tiens droit, incrédule, alors que les secondes s’allongent, insupportables pour elle. Un silence pesant s’installe. Finalement, elle craque :
— Qui t’a parlé de ça ?
— Personne, maman. Je me posais juste la question… mais ton attitude est si étrange.
Silencieusement, elle se lève et se dirige vers le placard. Ses pas résonnent sur le carrelage, empreints de gravité. Un verre à la main, elle le remplit d’eau, le vide d’une traite et le remplit à nouveau. De retour à sa place, elle fixe le vide, l’eau dégoulinant le long de ses doigts tremblants.
— C’est une histoire singulière, dit-elle sobrement.
— Raconte-la-moi.
— Je pensais qu’un jour je te la raconterais… oui, je te la raconterais.
Elle semble perdue dans ses pensées, et je ressens une légère appréhension. Pourquoi une telle réaction ? Mon cœur s’accélère, presque douloureusement.
— Elle avait toujours un sourire radieux… murmure-t-elle.
Ce mot me glace. Depuis les visites de monsieur Sourire, les sourires ont pour moi une double signification.
— De qui parles-tu ?
Ma mère inspire profondément, puis plonge son regard dans le mien. Elle évalue ma capacité à affronter la vérité. Mon souffle s’accélère, l’angoisse monte. Devant ma détermination, elle se résout à dévoiler son secret :
— Ta sœur… jumelle.
Soudain, je suis pétrifié.
— Comment ça ?! m’écriè-je, estomaqué.
Ma mère boit lentement son verre d’eau.
— Lorsque je t’ai porté dans mon ventre… tu n’étais pas seul… Ton père et moi attendions des jumeaux.
— Pourquoi ne m’en as-tu jamais parlé ?
— Parce que cette histoire est… singulière.
— J’aurais aimé le savoir ! Qu’est-il arrivé à ma sœur ?
— Vous étiez si fragiles tous les deux… On craignait que ni toi ni elle ne surviviez… Mais finalement…
Sa voix s’éteint, et elle se mord la lèvre. Un remords la ronge, je le sens.
— Enfin, reprend-elle, les sagefemmes n’ont pas d’explications. Le jour de l’accouchement, elle n’était plus en vie. Toi, en revanche, tu étais vivant ! Nous étions si heureux !
Des larmes brillent dans ses yeux. Elle semble sincèrement reconnaissante pour cet exploit : l’exploit de ma vie. Je ne savais pas que ma naissance avait été si incertaine.
Bouleversé, je ne sais comment réagir. Une boule se forme dans ma gorge, mes émotions se bousculent.
— Je t’aime, mon fils.
— Moi aussi, maman. J’accepte son étreinte. Blotti contre elle, je sens ses bras protecteurs m’envelopper, tandis que mon esprit s’emballe. Une pensée troublante m’envahit : si ma sœur est décédée avant de naitre, comment ma mère peut-elle parler de son sourire ?
Il me semble que le soir arrive de plus en plus vite depuis que monsieur sourire me rend visite. Et ce jour ne s’oppose pas à la règle qui s’est mise insidieusement en place…