Oh bordel ! Ce fut à peu prêt tout ce que Lucien réussit à penser lorsque qu'elle se jeta à son cou, lui parla (de quoi?) et pendant l'étreinte. En bouc…
Elle crut plus d’une fois être sur le point de rendre l’intégralité de son déjeuner sur les baskets de ce pauvre Lucien.
Sans trop savoir comment ni pourquoi, elle se retrouvait désormais lovée dans ses bras, tremblante comme une feuille sans raison apparente. Il sentait l’essence. Elle en aimait bien l’odeur.
Lucien se crispa presque à son contact, et davantage en entendant la terrible menace qui planait juste au-dessus d’eux, là-haut sur la colline. Leyla jeta un regard par-dessus l’épaule du gaillard et il lui sembla voir quelque chose dégringoler du petit mont ; quelque chose ou plutôt quelqu’un, d’énorme et de rougeâtre, visiblement plongé dans une colère noire. Ses petites mains vinrent accrocher le tee-shirt de Lucien, conscientes qu’il devenait leur dernier point d’encrage. La chose se rapprochait, et plus sa course venait les rencontrer, plus la brunette parvenait à discerner sur quoi elle se déplaçait : le sol se tapissait de cartes à jouer au fur et à mesure de son avancée.
-C’est pas possible, pensa-t-elle à voix haute, on nage en plein délire.
Elle ferma les yeux si fort que ses paupières blanchirent d’effort, mais en les rouvrant, le « délire » continuait de la noyer.
-Lucien, c’est ça ? osa-telle d’une petite voix terrorisée, on devrait peut-être déguerpir en vitesse… Enfin, toi tu devrais y aller, j’arriverai pas à suivre ton rythme. Emmène Alice.
Leyla se résigna à lâcher le jeune homme pour venir fourrer ses mains dans ses poches, presque courageuse. Ses yeux d’ambre ne quittaient plus la tempête qui s’approchait d’eux. Elle crevait de peur, et ça se lisait dans les frémissements de ses lèvres. Au moins, songea-t-elle, ils auront plus de temps pour fuir. Un soupir sur sa gauche la détourna une seconde de sa concentration.
-Pas très maline toi, j’me trompe. Comme si c’était mon genre de m’barrer en laissant une nana assurer mes arrières.
Il croisa les bras sur son torse, fixant lui aussi l’horizon.
-Alice, attrape la Marcheuse et cassez vous. Lulu va gérer.
La blondinette, toujours plongée dans une folle inquiétude, se jeta sur lui pour déposer une légère marque d’affection dans le creux de son cou. Puis, elle reporta son attention sur Leyla, un petit sourire en coin, avant de lui attraper l’avant-bras et de la tirer dans la forêt qui se dressait derrière eux. Cette dernière n’eut même pas l’occasion de protester, le souffle coupé par la force soudaine d’Alice.
Elles disparurent à travers les épaisses cimes.
Lucien, à présent seul, encra davantage ses pieds dans le sol.
-C’est bien beau de vouloir jouer les héros, mais me voilà dans une sauce monumentale moi…
La cavalcade pris brutalement fin la seconde qui suivit, le monstre s’arrêta aux pieds du type au blouson de cuir. La vision de cet énergumène n’avait rien de désagréable, mais l’odeur entêtante de fleurs pouvait écœurer n’importe qui. Il se trouvait désormais nez à nez avec ce qui ressemblait le plus à la Reine de cœur qu’il connaissait. La belle se planta devant lui dans un nuage de poussière et de cartes, sa longue chevelure écarlate flottant derrière elle. Ses petits yeux perçants s’injectèrent de sang et ses lèvres carmin se pincèrent.
-Où est-elle, pouilleux ? Eructa-t-elle, obligée de lever la tête pour s’adresser à Lucien.
Car si elle n’était pas déplaisante à regarder, contrairement à l’image affreuse qu’en avait le garçon, elle ne devait pas dépasser le mètre cinquante.
Lui, il se contenta d’hausser un sourcil, sûrement vexé par le « pouilleux ».
-Qui donc ?
La reine n’apprécia guère l’ironie dont il venait de faire preuve. Elle fourra la main dans un tas de carte, lequel venait tout juste d’apparaître à ses pieds, et en ressortit une gigantesque faux, ornée de dorures et de roses. Quelques pétales s’échouèrent d’ailleurs au sol. La demoiselle fixa son arme juste sous la gorge dudit écuyer, une goutte de sang perla de celui-ci, mais il ne recula pas.
-Petit impertinent, si tu ne me dis pas tout de suite où ta copine est passée, je te coupe la tête.
-On n’a pas élevé les cochons ensemble, vieille peau, repose ton bâton où tu risques de le regretter.
Lui-même ne savait pas d’où lui venait cette audace soudaine, alors que la faux lui brûlait les cordes vocales. Il avait confiance en ses mots et en son assurance, suffisamment pour dérouter son adversaire. Et son intimidation fonctionna avec brio puisque la reine devint aussitôt toute cramoisie de colère ; Lucien put même entendre un grognement bestial s’échapper de sa bouche. Elle appuya un peu plus sa lame sur la peau claire du jeune homme.
-Est-ce ton dernier mot ?
-Oui Jean-Pierre.
Alors qu’elle fronçait les sourcils d’incompréhension, Lucien afficha un sourire satisfait. D’un geste d’une précision chirurgicale, il saisit la faux et profita de la surprise pour la subtiliser à la reine, puis, dans son mouvement, il s’accroupit et la faucha en utilisant le manche. Lorsqu’elle tomba à la renverse dans un nuage de carte, l’écuyer fit aussitôt volte-face. L’air frais pouvait bien mordre son visage, il s’enfonçait à toute allure dans la même forêt que ses congénères un peu plus tôt. Les branches lui fouettaient le visage et il préférait ignorer tous les petits murmures qui sillonnaient entre les arbres. Impossible de savoir où ses deux ladys avaient pu filer, si bien que quand il s’estima hors de portée des « Qu’on lui coupe la tête ! » de la reine, il s’arrêta net. Un arbre renversé lui fournit un merveilleux instant de répit, sans s’en rendre compte, il ne trouvait plus son souffle. Il faut dire qu’en plus de cela, la faux fleurie n’était pas des plus maniable pour courir à en perdre haleine. D'autant plus que la blessure à sa tête, dernier souvenir du Chapelier, commençait à se rappeler à lui.
-J’vais jamais les retrouver… lâcha-t-il en passant le dos de sa main sur son front plein de sueur.
Un brusque crépitement devant lui le surprit dans sa réflexion. Comble des rencontres du jour : il tomba sur un énorme chat, qui venait tout juste d’apparaître ici, aux yeux rieurs, au large sourire carnassier et aux étonnants reflets violacés.
Lucien pointa machinalement la faux dans la direction du gros matou. Qui lui répondit en faisant le dos rond et en sortant les griffes. Tout en gardant son sourire carnassier démesur&ea…